Yves Beauchemin : Jeux de société
Yves Beauchemin entend réaliser avec Charles le Téméraire son œuvre la plus ambitieuse et peut-être aussi la plus proche de ses préoccupations.
"J’ai le sentiment d’écrire mon meilleur roman. Il n’y a pas un livre où je me sois donné autant", n’hésite pas à dire en entrevue l’auteur du Matou au sujet de son sixième roman, dont le premier tome, Un temps de chien, relate l’enfance et l’adolescence du tout nouveau personnage Charles le Téméraire. Charles Thibodeau, fils de Wilfrid et Alice Thibodeau, naît en 1966 dans l’Est de Montréal. Après une naissance difficile, la mort d’une sœur plus petite et surtout celle de sa mère, c’est avec un père alcoolique, violent et nanti d’une compagne peu démonstrative qu’il passe ses premières années. Heureusement, malgré son contexte familial désastreux, Charles parvient à se sortir de ses mésaventures grâce à son astuce et à son courage, ainsi qu’à de nombreux alliés qui lui permettent d’envisager le bonheur.
En plein cœur d’Hochelaga, il traverse ainsi plus ou moins brillamment les différentes étapes d’une enfance et d’une adolescence semées d’embûches, mais aussi de certaines réussites et d’attentes, en même temps que s’élaborent en arrière-fond et parfois à ses côtés la société, l’histoire et la politique du Québec. "C’est mon roman le plus ambitieux car c’est le premier livre où je décris le développement d’un être humain depuis sa naissance", souligne Yves Beauchemin, qui avoue par ailleurs avoir mis davantage de lui-même dans son nouveau personnage, même si le roman n’est pas du tout autobiographique. Charles représente d’un certain côté cette vitalité qui définit selon lui le portrait du Québécois: aimant plus que tout la vie, et en même temps confronté à un contexte de survie difficile vis-à-vis duquel un certain courage, mais aussi l’entêtement, est parfois nécessaire pour aboutir quelque part.
À travers le destin de Charles, l’auteur entend donc plus que dans ses autres romans mettre l’accent sur la société, se référant ainsi à certains romans latino-américains à la lecture desquels il s’est rallié à l’idée, qu’il refusait auparavant, que l’étude sociale et politique peut se mêler harmonieusement à l’imaginaire littéraire. Par ailleurs, parlant de Balzac et Zola et des références à des écrivains anglais qui apparaissent dans son texte, Yves Beauchemin préférera pourtant nommer Gogol dont Les Âmes mortes, son livre fétiche, lui a tout révélé sur "la puissance corrosive de l’humour et de la satire sociale".
L’ampleur de ce nouveau projet d’écriture est, avec 1500 pages déjà "toutes écrites, mais pas toutes corrigées", une première dans l’univers d’Yves Beauchemin, qui avoue aimer "les choses baroques, les choses foisonnantes, et aussi que l’on se sente rapidement chez soi dans [s]es livres". Débutant peu avant Expo 67, les aventures de Charles Thibodeau devraient se terminer lors de la tempête de verglas de 1998, lorsque le personnage vivra, à 32 ans, ce qui était en 2000 – moment où le projet d’écriture a été amorcé – le dernier épisode marquant de l’histoire du Québec. "J’ai toujours écrit des romans qui se passaient en décor réel, et souvent en temps réel, aussi ai-je décidé d’arrêter celui-ci en 1998, car cela me paraît trop facile de se projeter dans l’avenir, et cela ne correspond pas à ma manière d’écrire."
L’auteur admet pourtant que certaines conditions pourraient peut-être le conduire à changer sa décision et à écrire un quatrième tome. Si son souhait de changement politique se réalisait, notamment, pourquoi ne pas en faire profiter aussi son personnage?
Charles le Téméraire, Un temps de chien
Yves Beauchemin
Éd. Fides
2004, 684 p.