Guy Laforest : Les voix de l’avenir
Guy Laforest n’a jamais eu la langue dans sa poche. "Nous avons besoin de "fonder" à nouveau notre pays", dit-il en substance dans son plus récent livre…
Observateur averti de la scène politique québécoise et canadienne, le politologue Guy Laforest s’interroge sur les destins respectifs du Québec et du Canada dans son plus récent ouvrage Pour la liberté d’une société distincte: Parcours d’un intellectuel engagé, qui se veut aussi un bilan de ses réflexions et de son engagement. Depuis plusieurs années, le professeur de sciences politiques à l’Université Laval soutient que la source du malentendu Québec-Canada réside dans la nouvelle Constitution de 1982, qui fut ratifiée sans le consentement du Québec, diminuant considérablement les pouvoirs de l’Assemblée nationale et niant la spécificité du peuple québécois.
Le dessein de Pierre Trudeau et de ses collaborateurs, selon Laforest, était alors de briser les reins du nationalisme québécois pour unir le pays autour d’une seule grande nation canadienne dont le socle serait la primauté des droits individuels. "L’esprit de 1982 me semble être celui d’une attaque consciente, lucide, contre l’idée selon laquelle les Québécois forment une nation (…)"
Laforest émet l’hypothèse fondamentale que depuis la fin du 18e siècle, le Québec est animé d’une double quête visant, d’une part, à assurer l’élargissement de sa liberté politique dans l’ensemble canadien et, d’autre part, à préserver sa sécurité et sa distinction identitaire. Or, le rapatriement constitutionnel de 1982, suivi par les échecs de l’accord du lac Meech en 1990 et de celui de Charlottetown en 1992, qui avaient pour objectif de retisser les liens Québec-Canada, a contribué à l’exacerbation du sentiment d’aliénation des Québécois qui culminera lors du référendum sur la souveraineté de 1995.
Depuis lors, "nous avons besoin de "fonder" à nouveau notre pays", écrit le politologue. Pour rétablir le dialogue, Laforest invite les souverainistes et le PQ à s’affranchir des résidus du vieux nationalisme ethnique et à admettre que "l’histoire est ouverte", que les communautés politiques n’ont pas de destin tracé à l’avance. Les fédéralistes, quant à eux, ont à reconnaître l’affront de 1982. Ainsi peut-être sera-t-il possible, après avoir éliminé les "résidus impériaux" dans les institutions et la culture politique canadienne, de "refédérer" le pays et d’établir les nouvelles bases d’un vivre-ensemble.
Si l’on doit cesser de présenter la souveraineté comme la seule option pour que s’épanouisse le Québec, ce dernier se doit de poursuivre sa quête de reconnaissance et d’élargissement de sa liberté politique en se dotant d’une Constitution propre, s’inspirant ainsi de la Catalogne qui a obtenu en 1980 le Statut d’autonomie en Espagne, croit Laforest.
En conclusion, l’intellectuel se montre modérément optimiste de voir les choses s’améliorer, adoptant le ton prudent de celui qui connaît trop bien les dynamiques souvent contradictoires qui animent son pays. "Faire la souveraineté, si la chose s’avérait nécessaire, serait une tâche ardue. (…) Vraiment fédérer le Canada (…) cela ne serait pas davantage une mince affaire."
Pour la liberté d’une société distincte
de Guy Laforest
Les Presses de l’Université Laval
2004, 352 p.