Nathalie Loignon : Sauts en arrière
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Nathalie Loignon : Sauts en arrière

Nathalie Loignon, récipiendaire de plusieurs prix avec ses quatre romans jeunesse, nous offre un premier roman destiné aux adultes, La corde à danser.

Depuis quelque temps, plusieurs livres imposent des enfants comme narrateur ou comme personnage principal. Au Québec, depuis La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy, Sébastien Chabot (Ma mère est une marmotte) et maintenant Nathalie Loignon reprennent un chemin déjà emprunté par les Réjean Ducharme, Émile Ajar, Jules Renard ou Günter Grass. Ce qu’il y a de difficile pour l’auteur qui marche sur ces terres, c’est de garder l’équilibre et tenir son parti. Il peut y avoir un chœur d’adultes, mais la voix de l’enfant doit rester celle d’un enfant, aussi grave soit-elle. Loignon arrive à jouer avec les temps, avec les chocs de la réalité et l’imaginaire nécessaire, pour livrer une histoire "écrite de la même manière que la mémoire opère".

Une enfant "de trois à sept ans selon les instants, les chapitres", remue le présent pour faire tomber des morceaux de son court passé. Dans sa tête, elle repasse le film de l’unique visite de son père, parti refaire sa vie de l’autre côté de l’océan. Elle pose des questions autour d’elle. Elle apprend des choses par la bande, à l’école, chez sa grand-mère, par un bout de photo déchirée, comme des bribes reviennent à la surface au contact de cette corde à danser, un cadeau du père, qui lui ramène autant le refrain de quelques comptines que des images tristes et navrantes. En déterrant ainsi le passé, la jeune fille voit bien qu’elle a vécu des épreuves peu banales, qu’elle a brûlé quelques étapes, et que sa mère, finalement, vit sa solitude comme on va à l’abattoir. La dérive de cette dernière forme un bien étrange port d’attache.

Un des détails qui frappe dans ce roman, c’est la position de la narration qui, malgré toutes les indications, ne semble pas provenir précisément du je de la petite fille, mais qui garde bien le ton de cette enfant. On dirait que le je incarne l’ouïe et la vue de celle-ci. C’est à dire que les événements sont rapportés et que les conséquences semblent évidentes, mais pourtant, le ton reste égal. Pas de réactions tragiques du côté de la narration; le lecteur fera son chemin seul avec ce chapelet de tragédies racontées entre deux comptines. Il assemblera le tout lui-même pour visualiser le chaos et la compréhension qui se battent dans la tête de l’enfant.

Loignon a une bonne maîtrise de l’écriture et elle manœuvre aisément à travers cette structure romanesque peu évidente. Sa force tient surtout dans la narration qui arrive à se permettre des variations poétiques et des charges émotives sans jamais quitter sa posture, ce ton initial qui donne à lire plutôt que de se laisser glisser dans la complaisance et d’insister sur l’urgence de dire. Le récit est tout en finesse mais l’univers est lourd, les événements relatés sont durs et montrent bien que dans les dérives d’adultes, les enfants nagent en eaux troubles.

La corde à danser
de Nathalie Loignon
Éd. de la courte échelle
2004, 154 p.