L'année littéraire 2004 : Tourner la page
Livres

L’année littéraire 2004 : Tourner la page

L’année littéraire a d’abord été faite de livres, bien sûr, mais aussi de bruyantes polémiques et d’inquiétudes autour de sa diffusion.

Il y a quelques jours, l’Union des écrivains québécois répliquait vertement à Sylvain Lafrance, vice-président de la radio française de Radio-Canada. Ce dernier, dans un texte publié par Le Devoir en novembre, vantait les mérites du rapatriement par la Première Chaîne d’une foule d’éléments de contenu culturel, au lendemain du remplacement par Espace musique de la défunte Chaîne culturelle de la radio d’État. Le nouveau conseil d’administration de l’UNEQ, dont Stanley Péan vient d’être élu président, ne le voit pas du même œil: "Le problème, écrivent en chœur ses membres, c’est que toutes ces disciplines [théâtre, danse, cinéma, arts visuels et en particulier littérature] sont maintenant abordées selon l’approche chère à la direction, qui privilégie le reflet de l’actualité au détriment de l’analyse et de la réflexion." Ce coup de gueule, dont les échos vont très certainement déborder l’année, témoigne bien des tensions qui existent dans le milieu entre les partisans de lieux médiatiques ouverts aux débats de fond et certains gestionnaires, qui prétendent à mots à peine couverts que ces lieux ne sont pas viables de nos jours.

Durant les derniers mois, nous avons néanmoins vu éclore de nouveaux joueurs chez les médias voués à la littérature, le magazine Entre les lignes, par exemple, et l’émission M’as-tu lu? (Télé-Québec). Des consolations sympathiques dans la forme mais maigres sur le fond, aux dires de plusieurs, et qui ne remplacent pas les espaces où la littérature ne se limite pas au divertissement.

Côté polémique, on garde aussi en mémoire la sortie de Victor-Lévy Beaulieu à l’endroit des romanciers de la relève, amnésiques selon lui, plus enclins à s’envoyer en l’air en rêvant de ce qui se passe outre-frontières qu’à véhiculer nos bonnes vieilles valeurs québécoises. L’article Nos jeunes sont si seuls, paru dans La Presse en février, a suscité une volée de réponses pour le moins articulées, et surtout plus nuancées que l’invective initiale, de la part des Marie Hélène Poitras, Grégory Lemay, P.J. Poirier et autres représentants de ladite relève. On peut consulter à ce sujet le numéro "été 2004" de la revue Zinc, dont la direction a eu la judicieuse idée de rassembler les lettres-réponses adressées à VLB.

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SOIRÉES ENSOLEILLÉES

Parmi les bons moments, on se souvient du 6e Festival Metropolis bleu, début avril, dont Paul Auster était l’invité d’honneur. Cette année encore, l’événement très cosmopolite créé par Linda Leith a pris la forme d’un vaste carrefour, faisant la fête à la littérature irlandaise, célébrant celle qui émane de la diaspora haïtienne, provoquant les discussions autour du travail de traduction ou du spoken word, si populaire à Montréal. Un mois plus tard, en mai, le Festival international de la littérature a poursuivi ses bonnes habitudes de nous servir les mots dans un cadre multidisciplinaire et souvent expérimental (on a aimé le spectacle L’Échappée belle, préparé par Martine Beaulne et Robert Lalonde), tout en faisant une place plus grande que jamais au livre jeunesse.

Autre succès: les Studios littéraires présentés au Studio-théâtre de la Place des Arts, dont le très beau consacré en novembre à la poésie flamande et celui présenté ces jours-ci, où Chloé Sainte-Marie dit Gaston Miron avec toute la sensibilité qu’on lui connaît.

Mais les plus beaux coups de cœur reviennent à de modestes organisations, qui arrivent à créer des petits miracles avec peu de ressources mais beaucoup d’imagination et surtout de foi en la littérature. Les PM Dimanches, par exemple, qui réunissent une fois par mois écrivains et musiciens à la Casa del Popolo, ou encore le Supermagazilivre, qui verra L’Oie de Cravan, les Éditions Rodrigol et autres petits joueurs superpertinents tenir, le 18 décembre au Cheval Blanc (809, rue Ontario Est), leur alternative à la "recette" préconisée par le Salon du livre de Montréal.

Chose certaine, tout ce beau monde cohabitera en 2005 dans la capitale mondiale du livre. Poudre aux yeux? Réel brassage de mots et d’idées? Véritable fête pour le livre d’ailleurs et surtout d’ici? Bilan dans 12 mois.

LE LIVRE PRÉFÉRÉ DE NOS COLLABORATEURS

ÉRIC PAQUIN: Le Retour d’Afrique, de Francine D’Amour

Mature et ludique, Le Retour d’Afrique est un roman dans l’acception noble du mot, un souffle d’air frais à cette époque où prolifère l’autofiction. L’histoire? Un couple qui se sépare le temps d’un voyage un peu trop long. Une héroïne alcoolique qui se terre dans une petite maison pour une descente aux Enfers tout intérieure, mais qui trouve quand même le moyen de rencontrer des gens et de refaire sa vie. Le tout, servi par la langue souple et inventive de Francine D’Amour. Éd. du Boréal, 2004, 228 p.

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CHRISTINE FORTIER: New York City Blues, de Jeffery Deaver

L’auteur, ancien journaliste et avocat, a su transformer une intrigue banale en un roman hautement divertissant et déroutant. Plutôt que de s’empêtrer dans les fleurs du style, Jeffery Deaver se concentre sur l’action et décrit avec humour un milieu dépourvu de principes, qui n’hésite pas à tout sacrifier pour les dieux pouvoir et argent. Suspense assuré. Éd. l’Archipel, coll. "Thriller", 2004, 347 p.

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STÉPHANE DESPATIE: L’Africain, de JMG Le Clézio

Avec L’Africain, Le Clézio nous offre un livre suave, touchant, où la petite enfance circule dans " l’antichambre du monde adulte ". À l’âge de huit ans, l’auteur vivait au Nigeria où il nous emmène, par le truchement du rêve et celui de la mémoire, en reconstituant un journal qui marque les grands traits de ses origines. Un écrivain qui semble de moins en moins Français et dont le regard, bousculé, est disponible à la vérité, aux regrets comme aux rendez-vous. Éd. Mercure de France, 2004, 104 p.

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TRISTAN MALAVOY-RACINE: Cœur par cœur, de Roland Giguère

Écrits entre 1988 et 2003, publiés en revues pour les uns, inédits pour les autres, les poèmes rassemblés dans Cœur par cœur composent un bouleversant testament poétique. Page après page, au fil de mots sobres et lumineux sur l’amitié, l’amour, l’expression artistique et les départs nécessaires, apparaît l’essentiel du verbe de Roland Giguère, cet immense poète et artiste visuel disparu en août 2003. Selon les vœux de l’auteur, c’est sa compagne Marthe Gonneville qui a ordonné les pièces de ce livre qu’il voulait posthume; il n’en renierait rien. Un grand moment de poésie et d’humanisme. Éd. de l’Hexagone, 2004, 80 p.