François Barcelo : Jouer avec les morts
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François Barcelo : Jouer avec les morts

François Barcelo, fidèle à son parcours, nous revient avec une flopée de nouvelles rassemblées sous le signe de l’humour torve et du macabre sympathique.

Même si François Barcelo écrit beaucoup (trop, diront certains), on ne lui connaissait jusqu’à ce jour qu’un seul recueil de nouvelles, Longues Histoires courtes (1992). Or, avec Rire noir, qui réunit 15 histoires publiées au cours des 20 dernières années, on comprend que non seulement ce farceur ès lettres poursuit sa pratique de la nouvelle, mais qu’il en use avec innocence et malice à la fois, comme un oiseau moqueur.

L’amateur de Barcelo le sait: on ne le lit pas en quête des mystères de l’âme humaine, son territoire se situe ailleurs. Là où d’autres érigent des drames sondant les dédales de l’innommable, lui cultive ses petites intrigues sans prétention, avec la gaieté d’imagination d’un diable burlesque. Rire noir nous prouve que la mort, comme pour tout auteur de polars, est une nécessité presque absolue, une drogue dure. Les personnages principaux de la plupart des nouvelles se retrouvent tôt ou tard, par un croc-en-jambe astucieux du hasard, face à leur dernière heure. Par là, le travail de Barcelo ferait étrangement penser aux jeux solitaires d’un jeune garçon s’amusant avec ses figurines, les faisant tomber comme des mouches, tour à tour, avec tout ce que cela suppose d’ingénue cruauté et de fantaisie créatrice.

Toujours sous le couvert du ludisme et de la raillerie, quelques textes sont traversés ou habités par la charge d’une critique sociale et culturelle. Ils prennent ainsi la forme d’allégories fantastiques, de fausses pièces de théâtre ou de récits paranoïaques. Seule la dernière nouvelle, Dernier Soir, sur un pont, s’inscrit en marge du mode humoristique. Elle met en scène un jeune Montagnais se suicidant en respirant de l’essence à moteur dans un sac, les yeux rivés sur les aurores boréales. Une note finale douce-amère nous entraînant ailleurs en nous confrontant, disons, aux limites du divertissement.

Ici comme dans ses romans, Barcelo a l’imaginaire allègrement tordu, capable de surprises, d’intrigues aux détours obliques, mais aussi prêt à consentir à la facilité. On constate tout de suite la recherche de l’effet dans cette manie qu’a l’auteur de clore une nouvelle par une phrase contenant son titre. Il est également assez rare que la lecture ne soit interrompue par un ou plusieurs passages "explicatifs", soulignant en caractères gras, pour ne pas dire géants, à l’hollywoodienne, ce qui allait déjà de soi. Ce qui porte à croire que cela fait partie de la manière de l’auteur, davantage préoccupé par la trame que par le langage qui la porte. L’écriture de Rire noir est précise, claire – une vertu, souvent – mais, alliée aux univers célébrant les grincements du sort auxquels nous sommes conviés, elle semble fâcheusement trop "correcte", trop sage.

Peut-être enfin faudrait-il en rester à l’évangile muet qui accompagne ce livre de Barcelo: amusez-vous comme je me suis amusé. Une œuvre où il n’y a pas de clé ni de trésor caché sous les mots, simplement l’art entretenu de savoir rire du pire, comme un véritable polisson.

Rire noir
de François Barcelo
XYZ éditeur, 2004, 233 p.