Jean Désy : Printemps arctique
Jean Désy nous convie au périple d’un biologiste et de sa fille dans les blanches étendues du Nunavik.
Depuis le divorce de ses parents, Geneviève partage sa vie entre une mère qui tient une boutique de décoration en banlieue de Montréal et un père biologiste à l’esprit nomade, amoureux des grands espaces où le conduit son travail. Alors qu’elle vient d’atteindre l’âge de 16 ans, celui-ci l’invite à l’accompagner au Nunavik où il est chargé d’évaluer la santé d’un troupeau de caribous. Interrompant ses études malgré le désaccord de sa mère, Geneviève répond à cet appel du large. L’expérience sera déterminante au point où elle se promettra de revenir vivre dans le Nord et de revoir un jour l’île enchantée de Tayara.
Dans son avant-dernier livre, Nomades en pays maori, paru en 2003, Jean Désy mettait pour la première fois le cap vers le Sud, nous offrant le récit autobiographique d’un voyage effectué en Nouvelle-Zélande en compagnie de sa fille de 16 ans, Isabelle. L’Île de Tayara renoue avec le genre romanesque et le Grand Nord québécois, univers qui a peuplé le reste de l’œuvre de cet écrivain atypique, à la fois docteur en médecine et en lettres. Contrairement au Coureur de froid, roman précédent de Désy dont le héros était ce médecin plein de compassion pour ses malades inuits et que l’on associait immédiatement à l’auteur, L’Île de Tayara donne la parole à la jeune fille. Un pari audacieux qui contribue à jeter un regard différent sur l’expérience polaire.
C’est un huis clos particulier qui permettra à Geneviève d’évoluer dans sa quête initiatique.
Inuk d’âge mûr, Tayara est un leader de sa communauté qui souhaite ouvrir une île au tourisme. Lors du voyage d’exploration en compagnie du biologiste et de sa fille, il se fait accompagner de son fils Putulik et d’un jeune délinquant prénommé Aisara qu’il souhaite ramener dans le droit chemin. Située dans l’Arctique et accessible par avion à partir de Puvirnituq, l’île, dont l’unique signe d’activité humaine se limite à la cabane habitée par l’équipe, deviendra pour Geneviève le lieu d’expériences essentielles où se confondront la chasse, la pêche, la spiritualité et le désir. En effet, au fur et à mesure que tomberont les préjugés, la séduction qu’exerce le Nord se doublera de l’attirance que la jeune fille encore vierge éprouvera pour Putulik, jeune homme à la beauté troublante.
Brisant plusieurs stéréotypes, et assez subtilement pour que les réflexions philosophiques n’empiètent pas sur la matière romanesque, Jean Désy nous invite à dépasser les situations de paradoxe liées à la vie nordique et à la culture inuit. Dans ce pays qui soulève plus de questions qu’il ne fournit de réponses, le souci de protéger la nature cohabite en effet avec la chasse et la pêche à grande échelle, les mœurs violentes avec un caractère paisible, l’attachement au village avec l’idéalisation du nomadisme, la sérénité spirituelle avec les discours intolérants des preachers américains. Et c’est sans compter la dignité ancestrale qui laisse souvent place à une conduite pathétique lorsque l’alcool vient brouiller les esprits. Dans une toundra aux allures de cathédrale, le sens même des mots est mouvant, comme le comprendra cette héroïne étonnamment mature pour son âge: "Se perdre veut dire qu’on doit retrouver son chemin, voilà tout."
L’Île de Tayara
de Jean Désy
Éd. XYZ, 2004, 248 p.