Horacio Castellanos Moya : Liaisons dangereuses
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Horacio Castellanos Moya : Liaisons dangereuses

Horacio Castellanos Moya propose une intrigue acide mettant en lumière l’opportunisme politique de la bourgeoisie salvadorienne, le tout mené par une écriture fébrile et un humour qui n’entend pas à rire.

Il y a une heure et demie, vous la quittiez, elle vous appellerait dans l’après-midi. Mais vous la retrouvez plus tôt que prévu, dans son salon; la police est déjà là: "Je me suis agenouillée et j’ai soulevé le drap: elle avait un petit trou à la tête, mais derrière toute sa cervelle était sortie." La Mort d’Olga Maria s’amorce ainsi, à la manière classique du thriller, pour se corser en cours de route, les tensions et les hypothèses se multipliant jusqu’au dernier instant où, avec finesse et doigté, les zones d’ombre du récit, ainsi que les motifs de sa construction, sont exposés au grand jour.

Ayant dû s’exiler au Canada puis au Mexique à cause de son activité journalistique jugée subversive, Horacio Castellanos Moya se révèle un observateur implacable de la société salvadorienne de l’après-guerre civile (1979-1992, 100 000 morts). Le Dégoût, son premier roman traduit en français (Éd. Les Allusifs, 2003), nous avait déjà mis au parfum de cette voix fielleuse, chargée à bloc, fustigeant sans réserve un pays se laissant dissoudre par la corruption et l’embourgeoisement des valeurs sociales. La Mort d’Olga Maria est narré par Laura, meilleure amie de la victime, une pie aisée et superficielle s’adressant sans relâche à une vague interlocutrice, invariablement désignée par "ma belle". Le meurtrier est arrêté, un ex-militaire; reste à savoir qui l’aurait employé. Insatisfaite du travail des policiers, ces "canailles", ces "porcs", c’est à sa confidente invisible qu’elle racontera les développements de sa propre enquête tandis qu’elle croisera, chemin faisant, un détective privé ainsi qu’une journaliste qui ne feront que brouiller les pistes et s’aggraver le mystère. Elle parviendra toutefois à éplucher assez le dossier pour découvrir une vie adultère à son amie, déranger le monde secret du Pouvoir et aboutir dans un guêpier sans issue.

La narratrice incarne à elle seule la frivolité et la bêtise de la haute société: "On devrait climatiser les églises. Ne crois pas que ce soit la première fois que j’y pense: je t’assure que si les curés y mettaient l’air conditionné, on irait plus souvent à la messe." On sent Moya prendre un malin plaisir à vilipender la classe des possédants en donnant la parole à une mondaine inculte, caricaturale, obsédée par les ragots et la beauté des hommes, qui ne se fait pas prier – on le comprend assez vite – pour exposer l’ampleur de son étourderie. Ces longs monologues intérieurs tiennent le pari d’une oralité colorée, dans une traduction fort honnête d’André Gabastou, exempte de ces parisianismes parasitant souvent le cours d’une lecture. Les tirades de Laura permettent à l’écriture de Moya de révéler sa nerveuse démesure, à la manière d’un Thomas Bernhard, de construire neuf chapitres sans paragraphes, semblables à des pans de voix, des fractions hallucinées d’un discours qui se cramponne à lui-même pour ne pas capituler. Ce qui donne un roman acéré comme une arme de poing, porté par un rythme obstiné, d’une rare constance.

La Mort d’Olga Maria
de Horacio Castellanos Moya
Éd. Les Allusifs, 2004, 164 p.