André Malavoy : Bagage culturel
Si l’histoire de chacun mérite d’être racontée, chacun n’a pas eu une vie d’intérêt public. Par ses mémoires, André Malavoy prouve qu’il fut un témoin privilégié du vingtième siècle.
"Demandez à un jeune Québécois d’aujourd’hui ce que signifie pour lui André Laurendeau: il y a de fortes chances pour qu’il réponde: un cégep. Et Édouard Montpetit? Réponse: une avenue. Je m’étonne et me navre que la jeune génération, à l’heure où elle proclame son identité, ignore ses racines et même son histoire proche, au point que des noms de ceux que je nommerai comme fondateurs n’éveillent pour eux aucun souvenir." Celui qui parle ainsi est né à Paris et est arrivé à Montréal comme délégué du Tourisme français en 1951, tout juste un an avant l’apparition de la télévision au Québec. Ce héros de la Résistance n’allait pas que s’installer ici, mais aussi s’impliquer profondément dans sa nouvelle communauté et côtoyer des dizaines de gens influents du monde des affaires, des politiciens, de même que des intellectuels, des artistes, des écrivains, des poètes, des journalistes. Son livre, Mémoires d’outre-Atlantique, n’est pas qu’un livre de mémoires; c’est un témoignage, un regard sur un demi-siècle de l’histoire québécoise.
Presque d’entrée de jeu, André Malavoy confesse avoir été projeté ici en "Français typique, structuré dans ses traditions, entouré de préjugés, péremptoire en ses jugements", mais c’est avec joie qu’il va de découvertes en étonnements, et qu’il tisse des liens solides avec une société ouverte et chaleureuse, dont il apprend à apprécier les différences. Concernant les habitudes culturelles et certains comportements, il arrivera assez tôt à tirer profit du meilleur des deux mondes, sans jamais renier ni ses origines ni sa patrie d’adoption. Occupant un poste pivot, qu’il va bientôt quitter pour fonder l’agence de voyages qui porte encore son nom, André Malavoy a généreusement fait profiter aux Européens et Canadiens de ses relations, bâtissant de véritables réseaux, jetant des ponts entre les gens de ces deux cultures. Voyez-vous, si cet homme a bien connu André Laurendeau ou Pierre Elliott Trudeau, Jean Drapeau, Camillien Houde et Pierre Laporte, il a aussi développé des liens de franche camaraderie avec Jacques Normand, Jean Gascon ou Jean-Louis Roux, de même que son destin croisa celui d’Hergé, du cardinal Léger et d’Yves Montand. Le livre ne se contente pas de citer ces gens, il en fait des portraits comme il analyse plusieurs situations. Ainsi, Malavoy soupèse souvent le pour et le contre des différents fonctionnements (français et québécois), donnant en chemin des avis éclairés sur le maréchal Pétain ou le général de Gaulle, sur la situation de la langue, abordant la question de l’indépendance du Québec… Ce qui m’amène à préciser qu’André Malavoy est le père de Marie Malavoy, première vice-présidente du Parti québécois (et ancienne ministre de la Culture et des Communications), et donc le grand-père de Tristan Malavoy-Racine, poète et chef de pupitre ici même au journal Voir (mon supérieur!).
Finalement, Mémoires d’outre-Atlantique est un recueil de traces importantes, qui nous fait réfléchir sur nos propres origines ainsi que sur les liens qui restent à tisser entre les cultures, les pays… et les générations. Bien qu’il comporte quelques règlements de comptes ou "coups de griffe" (Malavoy est déconcertant de franchise), le livre est surtout un hommage aux grands de ce monde et un hommage à la vie.
Mémoires d’outre-Atlantique
VLB éditeur
2004, 408 p.