Ahmadou Kourouma : Le rouge et le noir
Livres

Ahmadou Kourouma : Le rouge et le noir

Mort l’an dernier, Ahmadou Kourouma a laissé un roman inachevé mais doté d’une belle force dramatique et d’un humour corrosif: Quand on refuse on dit non.

Dans Allah n’est pas obligé (prix Renaudot 2000), Ahmadou Kourouma imaginait l’itinéraire picaresque du petit Birahima, enfant-soldat formé pour les guerres tribales qui ont déchiré la Sierra Leone et le Libéria durant les années 90. Au moment de sa mort, survenue en décembre 2003 pendant son exil lyonnais, l’écrivain ivoirien âgé de 76 ans travaillait au manuscrit d’un roman sur lequel il a passé les huit derniers mois de sa vie et qui se présente comme la suite des aventures du jeune Malinké. Un roman auquel Gilles Carpentier, chargé d’établir le texte pour les Éditions du Seuil, a conservé le titre de travail pittoresque que Kourouma lui avait donné: Quand on refuse on dit non.

Démobilisé, Birahima s’est réfugié à Daloa, capitale du pays bété dans le Sud de la Côte-d’Ivoire, où il est devenu "aboyeur" pour une compagnie de taxis-brousse. Hébergé par un cousin médecin, il n’a rien oublié de son passé de violence et a du mal à s’intégrer à un contexte social paisible, lequel sera de courte durée. Le garçon suit les cours de l’école coranique de l’imam Haïdara lorsque éclatent les conflits attisés par les escadrons de la mort du président Laurent Gbagbo qui tente de mater la rébellion des Dioulas, ethnie de confession musulmane dont font partie les protecteurs de Birahima. Après la mort de son cousin et de l’imam, le héros prend la fuite avec la fille de ce dernier, Fanta, vers le Nord du pays où vivent la majorité des rebelles.

Traversant une Côte-d’Ivoire divisée en deux, de Daloa à Bouaké, Birahima doit parfois forcer leur chemin à coups de kalachnikov, retrouvant son instinct de survie aussi sûrement que ses réflexes de guerrier. Quant à la belle Fanta, elle retrace pour son compagnon l’histoire du pays, des premiers pygmées et des occupants portugais du 15e siècle aux dictatures corrompues des présidents ayant succédé à la colonisation française. De cette histoire, l’enfant-soldat retiendra une interprétation bien personnelle, mais surtout une multitude de nouveaux mots. Toujours entouré de ses dictionnaires, le narrateur Birahima se plaît en effet à expliquer les particularités lexicales françaises et les "barbarismes" africains avec une naïveté derrière laquelle pointe l’ironie de l’auteur. C’est ainsi qu’il remarquera que "coopérant fut le nouveau nom du colon sans rien changer au contenu", qu’une communauté de Blancs porte le nom de "civilisation" tandis que le terme "tribu" désigne une communauté de Noirs.

Difficile de savoir ce qui serait advenu des deux héros pris au centre d’un conflit en cours au moment où Kourouma a commencé l’écriture de son récit et qui fait toujours couler le sang en Côte-d’Ivoire. L’inachèvement du roman nous empêche également de connaître le dénouement de l’histoire d’amour entre les jeunes gens: lorsque le manuscrit s’interrompt, Fanta a repoussé la demande en mariage de Birahima, refusant de s’unir à un homme sans éducation et plus jeune qu’elle. Les lecteurs apprécieront néanmoins de frayer une dernière fois avec le génie de conteur dont faisait preuve le romancier dans Allah n’est pas obligé, cette capacité à décrire des tragédies contemporaines sur le mode du récit d’aventures et d’un comique grinçant.

Quand on refuse on dit non
d’Ahmadou Kourouma
Éd. du Seuil
2004, 160 p.