Jules Verne : Retour vers le futur
Jules Verne est mort il y a cent ans. Pour l’occasion, les Éditions Alain Stanké font paraître un essai et cinq romans du père de la SF encore inédits dans leur version originale.
L’anecdote amuserait Paul Auster. Depuis deux jours, je bouquine les inédits de Jules Verne reçus il y a peu des Éditions Stanké, sentant vaguement fourmiller en moi les relents d’une passion adolescente. Puis hier soir, pensant à tout sauf à ça, je me donne bonne conscience en vidant quelques boîtes remontant à deux ou trois déménagements. Je tombe sur quoi? Une splendide édition à tranche dorée de Robur le Conquérant; un bouquin oublié depuis des lunes, qui s’ouvre sur une touchante dédicace de mon grand-père: "Pour toi mon Tristan, ton premier livre de grand garçon…" Décidément, j’ai rendez-vous avec le légendaire auteur breton.
On m’avait pourtant dit déjà de ne pas ranger tout à fait Jules Verne dans mes lectures d’enfance. L’étonnant visionnaire, qui a imaginé avec une sidérante précision tant de découvertes et d’exploits à venir, ce père de la SF qui est encore aujourd’hui l’auteur français le plus lu dans le monde, n’a en effet pas sa place à côté de Bob Morane. Bien sûr, plusieurs commentateurs en ont fait un écrivain mineur, et s’il est vrai que son legs premier à la littérature n’en est pas un d’audaces formelles ni de réinvention de la langue, on ne peut pas réduire son univers à un divertissement pour boy-scouts. La postérité de Jules Verne souffre d’une œuvre à cheval sur les genres et les lectorats, mais ses qualités d’imagination, de structure et de cohésion sont indéniables, et rares sont les adultes ouvrant en souriant l’un de ses livres qui ne se rendent pas, bientôt émerveillés, à la toute dernière page.
Que valent ces cinq titres publiés récemment? D’abord, on se réjouit de retrouver dans leur mouture initiale des romans posthumes déjà connus, Michel Verne, le fils du célèbre écrivain, les ayant sérieusement édulcorés puis publiés après la mort de ce dernier, encouragé en cela par l’éditeur Hetzel, soucieux d’en commercialiser des versions très grand public. D’accord, nous ne sommes pas devant Vingt mille lieues sous les mers, De la Terre à la Lune, ou encore ce Robur le Conquérant dévoré dans ma jeunesse. Le texte, parfois lourd et comptant maintes redites et erreurs diverses (dans Le Phare du bout du monde, par exemple, les Brésiliens parlent l’espagnol!), aurait certes nécessité un peaufinage éditorial, mais on préfère de très loin le souffle authentique de l’immense conteur qu’était Verne aux versions gentilles de fiston. Le Secret de Wilhelm Storitz, En Magellanie, Le Beau Danube jaune, La Chasse au météore et Le Phare du bout du monde, maintenant dégraissés, deviennent indispensables à l’amateur.
Le grand artisan de ces rééditions, c’est Olivier Dumas, président de la Société Jules Verne, qui publie dans la foulée une édition augmentée de son passionnant essai Voyage à travers Jules Verne, d’abord paru en 1988. Dans ce texte très vivant, truffé de citations et d’extraits de lettres, Dumas lève le voile sur une vie privée souvent considérée comme pépère, mais en fait remplie d’ambitions déçues, de ruptures, de drames personnels. Il dénote un rapport ambigu à la religion, et montre bien la dualité d’un caractère qui balance entre le cabotinage et la gravité.
À travers la correspondance de Verne avec ses proches, depuis les épisodes de coliques racontés dans le menu détail à sa mère au récit de déboires amoureux, on perçoit mieux le personnage affable mais intérieurement excessif qu’était Verne, dont Dumas, pourtant prudent dans ses analyses, rapproche sans hésiter la boulimie d’écriture à la boulimie alimentaire.
L’essayiste explore aussi le formidable appétit de son écrivain préféré pour la géographie, l’histoire maritime, les mathématiques, et bien sûr les avancements scientifiques et techniques, qui, couplé à un imaginaire débridé, allait lui permettre d’inventer avant l’heure le sous-marin, le radar, la télévision, la fusée interplanétaire… Une lecture essentielle, qui nourrit profondément notre rapport à une œuvre plus diversifiée qu’on ne le pense.
Morale de cette histoire: conservez vos Jules Verne à portée de main. Un jour ou l’autre, ils vous emmèneront là où nul autre auteur ne le fera, et votre bonheur, croyez-moi, ne sera pas que celui du flash-back.
Voyage à travers Jules Verne
d’Olivier Dumas
Éd. internationales Alain Stanké
2005, 304 p.