Tania Langlais : Voix de chevet
Après Douze Bêtes aux chemises de l’homme (prix Émile-Nelligan 2000), Tania Langlais nous propose La clarté s’installe comme un chat, une œuvre poétique soignée, aussi grave que lumineuse, comme un dernier soupir.
Disons d’entrée de jeu qu’il y a des recueils de poésie et qu’il y a des livres de poésie. Le recueil – le mot le dit – rassemble des poèmes, des textes souvent écrits sans visée d’ensemble précise, mais dont la ligne de fond, la trame, se révèle tôt ou tard, ouvrant ainsi la voie à un assemblage attentif qui permettra aux poèmes de s’éclairer entre eux. Lire un livre de poésie, en revanche, c’est sentir un projet, sa nécessité, un territoire obstinément habité, circonscrit et investi par une langue accordée au plus fort que soi. La clarté s’installe comme un chat de Tania Langlais, par là, est un livre de poésie.
En 1879, mourait d’une maladie de six mois le fils du poète français Stéphane Mallarmé; il avait huit ans, il s’appelait Anatole. Afin de rappeler le petit homme au vivant, dans le temps, Mallarmé entreprend l’écriture d’un Tombeau d’Anatole mais ne parvient qu’à multiplier des notes, que des notes, incapable d’ériger de ses mains la stèle de son fils. Même si tout au long de La clarté s’installe comme un chat, une voix s’adresse à Anatole, une voix reprend du service au chevet de l’enfant, on pourrait tout aussi bien ignorer cette anecdote de l’histoire littéraire que le livre de Langlais demeurerait aussi cohérent. Car, en fait, l’intimité trouble et transparente de cette voix n’accompagne pas qu’Anatole, cette petite "herbe folle" au cœur des limbes, mais bien toute vie fragile, toute âme faillible, dans une veillée de jour où la mort nous apprend, presque aimante, à respirer autrement.
Si "la vie n’est pas un lieu sûr", la mort de son côté n’est pas qu’une sombre mangeuse d’êtres. Elle apparaît tout en demi-teintes, comme un halo de clémence dans la pénombre: "jusqu’au sommeil qui ne reviendra plus / la nuit aura la bouche mi-close / la clarté ne sera qu’un pressentiment / l’âme exaucée qui respire". Accueillir ce qui s’enfuit, l’exigence de ce geste, protège la voix du livre de ce réflexe, trop souvent présent, en poésie comme ailleurs, d’en dire trop, d’épiloguer sans cesse en se délectant du langage et de ses effets. Ce qui donne ici une œuvre portée par une langue simple aux audaces subtiles, efficaces, travaillant le rythme avec autant de liberté que de minutie, et le poème comme une ellipse en suspens, faisant de lui une énigme calme et implacable.
Sur la couverture du livre, une reproduction d’une toile du pointilliste Georges Seurat: trois bateaux à voiles, la mer et la plage. Si on regarde avec plus d’attention au premier plan, le bateau accosté au rivage, on le voit, se détache de son ombre, flotte paisiblement dans l’espace, au-dessus d’elle. On se surprend alors à penser que l’écriture de Langlais est là: pas à pas, de courts poèmes, des touches assez patientes et légères pour pouvoir peindre une apparition avec les couleurs de l’absence, et dire à un enfant disparu, à mi-voix: "Tu flottes informe comme de grandes espérances."
La clarté s’installe comme un chat
de Tania Langlais
Éd. Les Herbes rouges, 2004, 74 p.