Chloé Sainte-Marie : Jeux de l'amour et du hasard
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Chloé Sainte-Marie : Jeux de l’amour et du hasard

Invitée d’honneur du Festival Voix d’Amériques, Chloé Sainte-Marie poursuit son œuvre singulière avec constance, alliant poésie et combat social en un seul et même chant.

On entend souvent dire que la poésie est élitiste, ne s’adressant qu’à une minorité avertie, quand, en fait, elle parle à quiconque tend un peu l’oreille. Depuis près de cinq ans, nous sommes de plus en plus nombreux à tendre l’oreille à cette voix fragile et feutrée chantant du bout de son souffle les mots de l’épreuve et du désir, de l’amour, de la mort et de la vie, avec naturel et lucidité. Vu l’authenticité de cette démarche, pas étonnant que les ballades et le country-folk chansonnier de Je pleure, tu pleures et de Je marche à toi aient connu un succès autant critique que populaire.

Plusieurs hasards peuvent amener quelqu’un à aimer la langue des poètes. Or, ayant grandi à Saint-Eugène-de-Grantham dans une maison où il n’y avait pour toute lecture que le livre saint, Chloé Sainte-Marie s’est vue prendre, par la force des choses, la voie royale de l’imaginaire et du langage ouvert: "La Bible m’a formée." Aujourd’hui, avec ce même désir de voir au-delà des apparences, elle choisit ses poètes, ainsi que leurs textes: Bruno Roy, Patrice Desbiens, entre autres, et l’incontournable Miron, Gaston de son prénom, ancien ami du conjoint de la chanteuse, Gilles Carle. De Miron, on a souvent mis de l’avant les revendications politiques, la verve lyrique évoquant la singularité châtiée du Québec; mais il existe également le Miron de l’amour et de l’abattement, de l’orage intime, celui que chante Chloé Sainte-Marie: "Je me retrouve dans les mêmes souffrances que lui, je me reconnais dans ses malheurs, j’ai les mêmes."

SCÈNE OUVERTE

"ton âme est un caillot au centre du front / ta vie refoule dans son amphore / et tu meurs / tu meurs à petites lampées sous tes semelles". Des vers de Soir tourmente, un poème de Miron qui se transformera en chanson sur le prochain album de Chloé Sainte-Marie et qu’elle interprétera le 14 février dans le cadre de Plaidoyer, un spectacle où elle a carte blanche, la liberté nécessaire pour laisser se déployer sans réserve sa nature de combattante au cœur clair. À la différence de ce spectacle donné à la mi-décembre 2004 au Studio-théâtre de la Place des Arts où elle célébrait Miron avec intensité et justesse, on retrouvera en accompagnement des textes chantés du poète un chœur d’aidants naturels, c’est-à-dire celles et ceux qui, dans l’intimité de leurs demeures, essaient de subvenir aux besoins d’un proche limité dans son autonomie par une maladie grave. Pour prodiguer les soins à cette personne, l’aidant naturel n’a d’autre choix que de faire appel à des préposés spécialisés, les loger, les nourrir, les rémunérer, ce qui, on le comprend, excède de beaucoup le portefeuille d’un particulier. Chloé Sainte-Marie a rencontré Philippe Couillard, le ministre de la Santé, qui lui a poliment précisé que les fonds manquaient pour "ça". Dans cette optique, on la comprend lorsqu’elle avance que Plaidoyer, pour elle, est "plus qu’un spectacle", que l’occasion se présente enfin pour "briser l’isolement", donner une tribune "à ceux qui n’ont pas de voix" afin qu’ils témoignent, tout simplement, de ce quotidien épineux et de cet amour qui les fait graviter, comme un ange gardien, au chevet d’un être. "La scène va être la représentation de leur vie et de la mienne", résume-t-elle. Car depuis une dizaine d’années, plusieurs le savent, Chloé Sainte-Marie est elle aussi aidante naturelle, celle de Gilles Carle, atteint de la maladie de Parkinson. Par là, lorsqu’elle récite "j’habite une joie / très abîmée de douleur", les vers de Bruno Roy, sur son dernier album, c’est en toute transparence qu’elle le fait, l’âme debout. Elle nous rappelle ainsi ce que la poésie ne cesse de répéter: les mots sont plus que des mots.

AIRS LIBRES

Outre les spectacles d’ouverture et de clôture du Festival Voix d’Amériques, les 11 et 18 février, auxquels elle participera également, Plaidoyer démontrera par l’exemple qu’"il nous faut les autres pour exister vraiment". Une idée charnière qui semble être au cœur de la démarche artistique de la chanteuse. Entourée des musiciens Réjean Bouchard et Gilles Bélanger, des poètes accordés à sa sensibilité, Chloé Sainte-Marie s’est constitué une véritable armée de création, une tribu d’esprits singuliers faisant de chaque album, de chaque spectacle, un espace poreux et métissé au sein duquel la présence et la voix de l’interprète parviennent à faire sentir une touche d’indicible, un mystère à visage humain traînant comme un courant d’air dans les chansons.

Qui aurait cru qu’un jour Gilles Carle deviendrait la muse de sa comédienne fétiche (La Guêpe, La Terre est une pizza, La Postière, Pudding chômeur), de sa propre muse? Après des spectacles en Provence et en Bretagne du 1er au 8 mars, Chloé Sainte-Marie retraversera l’Atlantique pour s’atteler à l’enregistrement du troisième album, à la maison, comme pour ses deux précédents. "C’est important que Gilles soit là; je veux qu’il réagisse, qu’il critique. C’est pour lui que je le fais. […] C’est pour lui, tout ça." "Tout ça", c’est-à-dire le spectacle Plaidoyer, les albums, l’amour et la douleur chantés, comme les derniers vers de Je marche à toi, du plus haut de la voix, et presque en la perdant: "je n’attends pas la fin du monde je t’attends / dégagé de la fausse auréole de ma vie".

À la Sala Rossa
Les 11, 14 et 18 février

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