D. Kimm : Donner sa parole
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D. Kimm : Donner sa parole

D. Kimm et quelques autres ont amorcé une mouvance qu’à peu près personne n’hésite aujourd’hui à qualifier de phénomène. Retour en arrière.

Les animateurs de la florissante scène des arts de la parole n’ont rien inventé. Mis à part chacune de leurs histoires et poésies, bien sûr. Ce qu’ils font depuis maintenant une demi-décennie, et avec un succès populaire autant que critique, c’est renouer le fil plus ou moins rompu entre les Québécois et leur tradition la plus féconde: celle du mot dit, crié, chanté. "La parole a toujours été très vivante au Québec, elle nous a toujours distingués", soutient la poète et performeuse D. Kimm, directrice du Festival Voix d’Amériques. "Pour moi, notre oralité est indissociable d’un petit côté délinquant qui nous est propre. Naturellement, le Québécois ne se conforme pas trop, il aime le franc-parler."

Ce parler franc a connu des périodes fastes, des temps où il était au cœur du discours social et politique. "Il y a des repères forts, la Nuit de la poésie de 1970, entre autres, qui a engendré beaucoup de choses, ou encore L’Osstidcho, qui incarnait une façon tellement originale d’aborder la scène. Janou Saint-Denis aussi a fait beaucoup, avec sa Place aux poètes. Ensuite, j’ai l’impression que les humoristes ont repris le flambeau à leur manière, sauf peut-être Yvon Deschamps et quelques autres qui ont cultivé un aspect très artistique, et que les explorations plus audacieuses se sont un peu perdues… Je ne suis pas la seule à penser qu’il y a eu un trou, une espèce de vide, essentiellement autour des années 80." Mais alors, que faisaient les gens durant tout ce temps? Ils ne se racontaient plus d’histoires? "Ils regardaient la télé! Je considère que la télévision a occupé ce territoire-là pendant un moment, que nous avons tous pensé que c’était là le médium incontournable. Mais c’était faux, nous avons besoin aussi d’un rapport direct avec les mots, dans l’instant présent. Parallèlement, plusieurs en ont eu assez de cette maudite idée de politesse, de rectitude politique, et ont eu besoin d’un retour à une parole plus déliée, fragile. D’un côté festif et revendicateur, aussi."

Selon D. Kimm, on doit beaucoup à ceux qui ont entretenu la flamme, Nathalie Derome ou Sylvie Laliberté, par exemple. Et à tous ceux qui, particulièrement depuis cinq ans, ont créé des espaces où les mots se libèrent de leurs liens. "Je pense à José Acquelin, à Tony Tremblay… Et bien sûr André Lemelin." André Lemelin, c’est ce visionnaire qui fonde les activités puis les refile à d’autres, comme ces inventeurs qui ne s’intéressent qu’à l’invention proprement dite, et qui, après avoir crié eurêka!, passent le témoin. C’est d’ailleurs lui qui a fondé le FVA, en 2002, pour aussitôt le confier à D. Kimm, comme il avait fait avec les désormais très courus Dimanches du conte, dont a hérité Jean-Marc Massie.

Tous mettent l’épaule à la même roue, confrontés en outre à la difficulté de décrocher des subventions pour des activités relativement nouvelles, qui plus est dans un contexte où la culture ne figure pas parmi les "premières priorités" gouvernementales. "Ça nous amène à nous serrer les coudes", acquiesce-t-elle. Mais avec une telle foi et une telle détermination, nul doute que D. Kimm et ses acolytes déplaceront encore quelques montagnes: "Moi je veux que la vie soit merveilleuse! Je veux qu’on prenne nos vies en main, qu’on en soit les héros!"

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