Autobiographie érotique : Relation internationale
En signant son Autobiographie érotique, Bruce Benderson ébranle certaines idées reçues sur le couple homosexuel.
L’autobiographie d’un inconnu, fût-elle érotique, n’a rien de très alléchant pour le lecteur occidental moyen, exposé bien malgré lui aux frasques des jeunes starlettes épidémiques et aux come-back de célébrités décérébrées dès qu’il fait la file au supermarché. Pourtant, le récit du New-Yorkais Bruce Benderson (qui a quand même traduit, ô déshonneur alimentaire, la biographie de notre Céline Dion nationale!) est beaucoup plus aguichant et, de surcroît, davantage instructif. Surtout quand on y apprend que l’auteur a dépensé ce mirobolant cachet de traducteur pour entretenir Romulus, un jeune prostitué roumain.
Ce livre a remporté le prix de Flore (dont le jury, indépendant, échapperait au lobbying des éditeurs, et qui a déjà été décerné à Vincent Ravalec et Virginie Despentes), une récompense vouée à reconnaître une œuvre audacieuse. Étrange qu’un texte non fictif d’abord écrit en anglais (admirablement bien traduit par Thierry Marignac) par un Américain frôlant la cinquantaine soit primé comme meilleur "roman" de la relève française! Sans doute pas pour normaliser les fragiles relations diplomatiques entre la France et les USA. Tout au contraire.
Bruce Benderson, qui est également journaliste pour plusieurs publications, dont The Village Voice, a écrit des romans et des essais dont les titres parlent par eux-mêmes: Pour un nouvel art dégénéré, Sexe et Solitude, Toxico et New York Rage. Homosexuel assumé mais pas nécessairement militant, ses prises de position condamnent souvent la ghettoïsation de la communauté gaie et son imitation du mode de vie hétérosexuel. Encore ici, il persiste et signe: "(…) les couples homos réussis jouent un jeu permanent de permutation des rôles… J’ai choisi quelque chose d’autre, un choix que d’aucuns qualifieraient de "non libéré". Ce qu’il y a d’attirant chez Romulus vient de son hétérosexualité, de cela même qui m’empêche de le posséder complètement."
Ce récit, qui aurait pu n’être que les doléances d’un grassouillet sugar daddy yankee amer, amoureux d’une pauvre petite frappe post-communiste parasite hétéro même prête à faire des pipes pour un peu d’argent, nous aspire pourtant, peu importe notre orientation sexuelle, dans son tourbillon tourmenté. Entre une dépendance affective qui se console d’un peu de tendresse et une domination économique qui se complaît dans ses largesses en dollars US, Bruce le micheton va même jusqu’à s’installer pendant neuf mois à Bucarest pour vivre à fond sa liaison dangereuse. L’amour a ses déraisons…
Ces confessions auraient pu se limiter aux descriptions pornographiques, comme le suggère le titre, de l’exploration brûlante de désir du corps de son jeune amant. Elles traversent plutôt le miroir de l’histoire de la Roumanie et nous font pénétrer dans les annales de ses royaux personnages. L’aventure de Bruce et Romulus s’imbrique dans celles de l’impétueuse reine Marie venue d’Angleterre et de son fils Carol, premier souverain né en sol roumain, terre de dépravation.
Benderson nous initie à la littérature et à l’art de ce peuple, souvent assis entre deux chaises (Orient et Occident), longtemps étouffé par la dictature communiste de Ceaucescu, qui tente maintenant, tant bien que mal, de faire le saut dans la démocratie capitaliste. Loin de l’apologie du tourisme sexuel, cette Autobiographie érotique est davantage l’autopsie d’une relation qui fait fi de la loi du plus fort. Misère des riches ou mystère des pauvres?
Autobiographie érotique
Bruce Benderson
Éd. Rivages, 2004, 374 p.