Martyne Rondeau : Post-coïtum
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Martyne Rondeau : Post-coïtum

Première œuvre de Martyne Rondeau, Ultimes battements d’eau nous entraîne dans un univers érotique où mort, désir et dépossession se partagent la scène, le tout porté par une écriture dévorée par ses ambitions.

L’amant est un voleur à la petite semaine au "corps de pêche mûre" et à la "langue spécialisée". Son nom: Arto Manless, manless, c’est-à-dire "sans homme". Un nom éclairant si l’on considère ce qui hante la narratrice: elle a perdu son homme, il s’est suicidé comme prévu, submergé par une dépression. Un état d’abattement et de rage bourrue qui maintenant s’attaque à elle, s’insinuant à même sa libido encore désespérément vive, comme exacerbée par le surgissement continu du désir.

La construction fragmentaire du roman nous fait circuler dans l’expérience de la perte d’une femme qui, morceau par morceau, dans une débâcle d’élans intérieurs, tente à corps perdu de se rapprocher de l’absent: "J’écris pour le rejoindre dans l’au-delà." Pour conjurer cette disparition, elle expose au présent les micro-récits de leur vie commune, les effets secondaires du sevrage d’amour, les épisodes de sexualité aiguë où sa "brèche" rencontrait le "boyau assassin": "Il réalignait son tir, mes cuisses s’échauffaient, il m’écorchait le col, mes mains moites autour de son cou, et je jouissais avec lui sur le gril; […] Orgasme comme je les aime, fou, à la vapeur."

Mis à part cet érotisme éperdu, l’auteure tire à boulets rouges sur la littérature romanesque publiée au Québec, les universités où l’on bâillerait d’ennui et la petitesse d’esprit des enseignants de littérature au collégial, dont elle fait partie. Flirtant conséquemment avec la mode actuelle de l’autofiction, Martyne Rondeau livre contre ses cibles une mitraillade naïve, presque adolescente, et sans réelle portée.

La prose d’Ultimes battements d’eau a d’audacieuses ambitions que l’auteure ne parvient pas à mener jusqu’à leur pleine concrétude. On dénote à chaque page la recherche langagière, la volonté de déployer une parole autre, rencontrant ainsi une poignée de franches trouvailles qui ne font malheureusement pas oublier la ribambelle de formules approximatives ou complaisantes qui jalonnent l’ouvrage, dont cette fameuse inversion du sujet dans la phrase: "constituée des décompositions d’Arto, mon suprême amant, je suis".

Important à noter, les choix esthétiques de l’auteure reposent sur une conception bien précise de l’œuvre littéraire: "J’exige constamment de la littérature l’ébranlement, le choc, le dérapage, l’étourdissement, l’évanouissement même." Ainsi, ce qui pose véritablement problème demeure cette interrogation qui se répète sans cesse au cours de la lecture: le livre se propose-t-il lui-même comme exemple de ce que devrait être l’art littéraire? À en juger par le ton alarmant de prétention, par la croisade de l’auteure contre les œuvres "somnifères" et par cette écriture brandissant bien haut ses auteurs fétiches (Aquin, Bataille) comme étendards de fortune, cela semble presque être le cas. On se trouve alors à penser que la littérature est ailleurs, loin des pavés culs-de-sac, pour peu qu’elle puisse résonner clairement, dans un espace libre, et ainsi parler loin.

Ultimes battements d’eau
XYZ éditeur
2005, 150 p.