Jimmy Beaulieu : Planches de vie
Le bédéiste Jimmy Beaulieu signe son album le plus achevé à ce jour, Le Moral des troupes, où il se met en scène au quotidien.
Même quand son œuvre se résumait à des plaquettes et à de brèves histoires publiées dans des collectifs, Jimmy Beaulieu demeurait un acteur important de la bande dessinée québécoise, contribuant à mettre en valeur le travail des autres par son métier de libraire et d’éditeur (à travers, notamment, la structure éditoriale Mécanique Générale). Résidant actuellement à la Maison des auteurs d’Angoulême où il prépare un album pour les Éditions Égo comme X, Beaulieu vient de faire paraître son livre le plus substantiel jusqu’à maintenant, un recueil de récits autobiographiques de 160 pages, intitulé Le Moral des troupes.
L’album s’ouvre sur un récent séjour de l’auteur dans la maison familiale de l’île d’Orléans où il est né en 1974. "Je suis un Québécois pure laine", précise-t-il d’entrée de jeu: "Mon père et mes oncles sont garagistes. Mes tantes ont été femmes au foyer avant de devenir femmes d’affaires en convertissant leurs demeures en bed and breakfast." L’insomnie de la nuit et la visite des pièces de la maison silencieuse où il retrouve les artéfacts de son enfance favoriseront ainsi l’émergence de divers souvenirs. La plupart ont pour cadre cette demeure dont les seuls livres, comme c’était autrefois le cas dans de nombreux foyers ruraux, se résumaient à la Bible, à l’Almanach du peuple et à l’annuaire téléphonique.
Au point de vue égocentrique de l’enfance (marquée par les voyages, le divorce des parents et les bandes dessinées) se superpose la quête de maturité et d’ouverture du jeune adulte qui doit faire face aux "réalités de l’existence": la santé fragile d’une tante aimée, la vie de couple, l’identité culturelle… La difficile transplantation du Québécois à Montréal, d’abord cause de multiples frustrations, favorisera l’épanouissement de cet esprit divisé entre une prédilection pour le rêve et un besoin de voir la réalité en face, préférant finalement "côtoyer les cultures du monde dans un environnement décadent comme Montréal" que de "passer sa vie aveugle à baiser ses cousines dans la grange". Quant aux réflexions digressives sur les balcons montréalais, la musique pop et la télévision, elles sont le plus souvent teintées par le sentimentalisme indécrottable et avoué d’un narrateur déçu par le contexte déshumanisant des postmodernes années 90.
À travers les pages délicieusement bavardes de Beaulieu ressortent d’inoubliables images: une double planche muette de scènes nocturnes de la métropole, quelques vignettes consacrées à ses enseignes commerciales, un album de photos gaspésien suivi de l’image de l’autoroute défilant, l’épisode éminemment "cartoonesque" d’une nuit de camping servi par le seul langage graphique et quelques onomatopées. Plus que le texte, le dessin de Beaulieu, réalisé avec un simple stylo à bille Paper-Mate, rend hommage aux femmes de sa vie. De la danseuse mexicaine admirée durant un voyage familial au poster de la Bo Derek de son enfance, en passant par la mère lointaine, les tantes et la "blonde", l’image tour à tour poétisante et sécurisante du corps féminin envahit les cases pour le plus grand plaisir du lecteur.
Le Moral des troupes
de Jimmy Beaulieu
Mécanique générale / Les 400 coups
2004, 160 p.