Lucie Pagé : Femme d'Afrique
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Lucie Pagé : Femme d’Afrique

Lucie Pagé, journaliste et auteure adulée, lance un roman sur le régime de l’apartheid qui a sévi dans la dernière décennie en Afrique du Sud. Avec son cœur de mère, son âme d’artiste et sa passion du pays, elle y livre un récit criant de vérité. La présidente d’honneur du 26e SLO raconte…

Tout commence alors que Lucie Pagé, journaliste correspondante à Radio-Canada, part vers l’Afrique du Sud pour travailler à différents reportages sur l’ère Mandela. Elle y trouve l’amour auprès d’un Sud-Africain syndicaliste d’ascendance indienne et se trouve déchirée entre deux continents, puisqu’elle a laissé au Québec un fils né d’une première union. De ce nouveau mariage naîtront deux autres enfants. Suivra, à la demande de la maison d’édition Libre Expression, la rédaction du livre autobiographique Mon Afrique (2001), qui fut publié dans plusieurs pays et qui relate les années 1990 à 1999. Tel un cri du cœur, elle y raconte ce qu’elle a vécu pendant cette époque de déchirement et de profonds bouleversements. Quelques années plus tard, elle présente maintenant un premier roman, Eva: "L’histoire s’est écrite dans ma tête alors que je rédigeais Mon Afrique. Eva, c’est le fruit de 15 années de recherche, de gens que j’ai côtoyés, d’histoires que j’ai entendues. Ce roman s’est présenté à moi comme une suite logique… Je me suis tellement fait demander ce que c’était que de vivre l’apartheid! Je me suis dit que j’allais l’écrire comme j’aurais voulu le lire, au moyen de l’amour puissant et de la culture, des arts… mais quand même avec des éléments historiques fouillés", précise-t-elle la journée même de son lancement montréalais.

Ainsi, son roman prend place dans les pires années de l’apartheid avec l’histoire d’Eva, une violoniste, fille du chef de la propagande du régime blanc, qui tombe amoureuse de Vavi, fils de Selma, qui est la servante noire de la famille Du Plessis. Engagé dans la lutte anti-apartheid, il se fera enlever et torturer. Eva passera 30 ans à tenter de démasquer le meurtrier du père de son enfant, Jabulani, qui vit à Soweto auprès de sa tante. Elle rencontrera plus tard Jan, un Afrikaner qui milite clandestinement contre le système en place, et aura un second fils, Derek, qui, lui, ne dessinera qu’en noir et blanc…

"Il y a beaucoup d’Eva en Afrique du Sud. Pour la créer, je me suis fiée à 10 femmes que j’ai rencontrées et qui ont aimé des Noirs. Même mon mari a fréquenté autrefois pendant sept ans une femme sans jamais pouvoir rencontrer ses parents, qui étaient racistes", raconte l’auteure qui a été victime elle-même de racisme.

"Ce qui est peut-être autobiographique dans Eva, c’est le rôle de mère qui se trouve déchirée parce qu’elle n’est pas avec ses enfants", explique l’auteure, qui a dédié son roman aux "trois femmes de sa vie": sa fille, sa mère et sa grand-mère, qui portait d’ailleurs le nom d’Eva. "Il fallait que je la nomme ainsi, ma grand-mère est la force créatrice derrière tout ça, j’étais très proche d’elle."

Lucie Pagé n’a rien négligé dans son roman. On y connaît les différentes organisations en place, les moyens de torture utilisés par l’Afrikaner Broederbond, société secrète derrière l’apartheid. On connaît aussi de véritables icônes de la lutte, comme Steve Biko, qui fut un véritable symbole de la lutte anti-apartheid et qui a trouvé la mort en 1977, en raison de blessures, après 16 jours de détention sans procès. "Ç’a été un gros travail pour moi de réunir la journaliste et la romancière. Parfois, ça frôlait le reportage et ensuite, ça tombait dans le roman. J’avoue très candidement que j’ai eu beaucoup de misère au début, ç’a été beaucoup de travail, mais je ne voulais pas lâcher", raconte l’écrivaine, qui a écrit son roman en deux ans: une année passée au Québec et l’autre en Afrique du Sud.

Elle y a aussi mis des éléments qui ont marqué sa carrière journalistique au cours de différents reportages et documentaires, notamment le viol et la violence domestique qu’elle dénonce. Elle met aussi beaucoup l’accent sur les chants africains qui, selon elle, ont été une arme contre la ségrégation. Elle ajoute que ces chants existent toujours, mais qu’ils ont pris une autre résonance: "Les cicatrices sont encore très présentes, mais l’Afrique du Sud a avancé incroyablement dans la dernière décennie. Nous, ça fait 200 ans qu’on vit en démocratie; l’Afrique du Sud a, dans certains secteurs, fait un plus grand bond en 20 ans. Peut-être parce qu’ils ont vécu le pire… Ils ont une des constitutions les plus avant-gardistes au monde, parce que c’est une des dernières. Maintenant, c’est tabou d’être raciste! Je pense que l’Afrique du Sud va être un exemple, une espèce de laboratoire multiracial, et qu’un jour, on va tourner les yeux vers elle pour éviter des événements comme le 11 septembre en Occident…"

À LA PRÉSIDENCE

Amoureuse de la lecture, Lucie Pagé, qui a grandi en Outaouais, a vu le Salon du livre de l’Outaouais (SLO) prendre forme depuis sa première édition en 1981. C’est donc un grand bonheur pour elle d’en être la présidente d’honneur cette année: "J’espère transmettre cette soif inassouvissable de lire. La lecture, c’est ce qui développe des opinions, des images, c’est ce qui permet de voyager, d’apprendre, d’aimer, d’explorer ses passions. C’est tellement précieux. Elle sauve des vies: Nelson Mandela a lu pendant ses 27 ans d’emprisonnement! Il y a des gens qui sont morts sans jamais avoir lu; moi, juste cette pensée me bouleverse. Alors, lisons pour eux! La lecture, ce n’est pas un luxe, mais une nécessité de base!" Lucie Pagé prendra part à plusieurs activités: d’abord, un tête-à-tête avec l’animatrice de CBOFT Mireille Allaire, (17 mars); elle s’entretiendra de sa relation avec l’Afrique avec Maka Kotto (le 18); elle fera le tour de la question Que devient la femme? avec Janette Bertrand et Nadine Grelet (le 19); en plus de rencontrer les lecteurs dans différentes séances de dédicace. Gageons que ces rencontres seront des plus passionnantes!

Eva
de Lucie Pagé
Éd. Libre Expression
2005, 493 p.