Lucie Pagé : Les chemins de la liberté
Lucie Pagé lance un roman sur le régime de l’apartheid qui a sévi dans la dernière décennie en Afrique du Sud. Avec son cœur de mère, son âme d’artiste et sa passion du pays, elle y livre un récit criant de vérité.
Tout commence alors que Lucie Pagé, journaliste correspondante à Radio-Canada, s’envole vers l’Afrique du Sud pour travailler à différents reportages sur l’ère Mandela. Elle y trouve l’amour auprès d’un Sud-Africain syndicaliste d’ascendance indienne et se trouve déchirée entre deux continents, puisqu’elle a laissé au Québec un fils né d’une première union. De ce nouveau mariage naîtront deux autres enfants. Suivra, à la demande de la maison d’édition Libre Expression, la rédaction du livre autobiographique Mon Afrique (2001), qui fut publié dans plusieurs pays et qui relate les années 1990 à 1999. Tel un cri du cœur, elle y raconte ce qu’elle a vécu pendant cette époque de déchirement et de profonds bouleversements. Quelques années plus tard, elle présente maintenant un premier roman, Eva: "L’histoire s’est écrite dans ma tête alors que je rédigeais Mon Afrique, se souvient-elle. Eva, c’est le fruit de 15 années de recherche, de gens que j’ai côtoyés, d’histoires que j’ai entendues. Ce roman s’est présenté à moi comme une suite logique…"
L’histoire évolue durant les pires années de l’apartheid – de 1964 à 1989 – alors que naît une relation amoureuse interdite entre Eva Du Plessis, une violoniste, fille du chef de la propagande du régime blanc, et Vavi, fils de la servante noire de la famille. Engagé dans la lutte anti-apartheid, Vavi se fera enlever et torturer. Eva passera 30 ans à tenter de démasquer le meurtrier du père de son enfant, Jabulani, qui vit à Soweto auprès de sa tante. Elle rencontrera plus tard Jan, un Afrikaner qui milite clandestinement contre le système en place, et aura un second fils, Derek, qui, lui, ne dessinera qu’en noir et blanc…
"Il y a beaucoup d’Eva en Afrique du Sud. Pour la créer, je me suis fiée à 10 femmes que j’ai rencontrées et qui ont aimé des Noirs", raconte l’auteure qui a été victime elle-même de racisme. "Ce qui est autobiographique dans Eva, c’est surtout le rôle de la mère qui se trouve déchirée parce qu’elle n’est pas avec ses enfants", explique l’auteure, qui a dédié son roman aux "trois femmes de sa vie": sa fille, sa mère et sa grand-mère, qui portait d’ailleurs le nom d’Eva.
Lucie Pagé n’a rien négligé: on découvre les différentes organisations en place, les moyens de torture utilisés par l’Afrikaner Broederbond, société secrète derrière l’apartheid. On découvre aussi de véritables icônes de la lutte, comme Steve Biko, un symbole de la lutte anti-apartheid qui a trouvé la mort en 1977, en raison de blessures, après 16 jours de détention sans procès. "Ç’a été un gros travail pour moi de réunir la journaliste et la romancière. Parfois, ça frôlait le reportage et ensuite, ça tombait dans le roman", raconte l’écrivaine, qui a écrit son roman en deux temps: une année passée au Québec et l’autre en Afrique du Sud.
Elle y a aussi mis des éléments qui ont marqué sa carrière journalistique au cours de différents reportages et documentaires, notamment le viol et la violence domestique. Elle met aussi beaucoup l’accent sur les chants africains qui, selon elle, ont été une arme contre la ségrégation. Elle ajoute que ces chants existent toujours, mais qu’ils ont pris une autre résonance: "Les cicatrices sont encore très présentes, mais l’Afrique du Sud a avancé incroyablement dans la dernière décennie. Nous, ça fait 200 ans qu’on vit en démocratie; l’Afrique du Sud a, dans certains secteurs, fait un plus grand bond en 20 ans. Peut-être parce qu’ils ont vécu le pire… Ils ont une des constitutions les plus avant-gardistes au monde, parce que c’est une des dernières. Maintenant, c’est tabou d’être raciste! Je pense que l’Afrique du Sud va être un exemple, une espèce de laboratoire multiracial, et qu’un jour, on va tourner les yeux vers elle pour éviter des événements comme le 11 septembre en Occident…", conclut-elle.
Eva
de Lucie Pagé
Éd. Libre Expression
2005, 493 p.