Poètes et centaures : Rêver mieux
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Poètes et centaures : Rêver mieux

Poètes et centaures, deuxième volet du cycle romanesque La déferlante, nous ramène la jeune artiste-peintre Miliana Tremblay. Rencontre avec l’auteure, Yolande Villemaire.

"Depuis ce cycle, j’ai changé de processus d’écriture. Tout est devenu beaucoup plus intuitif. Je fais le vide et je vois vraiment ce qui apparaît, puis j’écris, explique Yolande Villemaire. La déferlante devait même, à la base, être un recueil de poésie sur les émotions, mais je me suis rendu compte, quand j’ai eu le studio à Amsterdam, que j’étais toujours hantée par un personnage et que je devais écrire un roman!"

Ce roman, où intrigues policières et amoureuses se confondent aux mystères plus profonds, où la langue se permet des abandons poétiques et des avancées risquées sans jamais perdre le lecteur, ce roman nous amène de Val-David au Mexique, à Bombay, en passant par Paris ou Tadoussac. Une histoire où le rêve domine, mais où le concret suit son cours, bousculant les émotions et les plans, faisant du récit une toile complexe mais pourtant très accessible. "Le titre vient de La déferlante d’Amsterdam, car le personnage principal est une peintre qui voit les jeunes femmes d’Amsterdam comme des amazones et il vient un moment où, dans un train, elle dessine un de ses amis, qui est poète. Elle l’appelle ?centaure? parce que les amazones et les centaures formaient des espèces de couples dans l’Antiquité – donc les centaures étaient les pendants féminins des amazones. Poètes et centaures deviennent les sujets de son exposition."

Miliana est une jeune mère célibataire qui prépare une exposition dans les Laurentides, qu’elle présentera également à Mexico. Le père, Dragan, plus présent dans La déferlante d’Amsterdam, le précédent roman paru en 2003, partage la garde. "Au début, dans les premières versions, le personnage de Miliana était Indonésienne. Mais là, je trouvais que l’Indonésie, le Québec et Amsterdam, ça commençait à faire beaucoup. Alors je lui ai donné plutôt des racines amérindiennes! Donc le personnage de Miliana est une partie de moi que j’ai laissée dans l’ombre. Par exemple, je n’ai pas eu d’enfant, j’ai fait ce choix vers l’âge du personnage dans le livre, j’ai donc donné vie à cette partie de moi que je n’ai pas vécue. C’est aussi mon origine amérindienne paternelle qui est très obscure. Probablement algonquine, mais je n’en sais à peu près rien, car ma grand-mère n’aimait pas parler de ça. Je sais que j’ai une très grande sensibilité aux rêves et que j’ai un intérêt particulier pour tout ce qui est extrasensoriel. Ça vient sûrement de ces origines-là. J’ai voulu donner vie à tout ça."

FRONTIÈRES DU RÉEL

Outre les zones plus énigmatiques du roman, Miliana est un personnage habité d’une réelle peur, et il y a bel et bien une intrigue policière… "Mon premier roman, Meurtres à blanc (1974), était un roman policier; j’étais très inspirée par Hubert Aquin à l’époque. Mais je n’aime pas vraiment les romans policiers. J’aime Agatha Christie, car les personnages vont prendre le thé!", dit-elle en riant, en ajoutant du même souffle que l’intrigue policière autour des sectes avait quelque chose d’incontournable pour elle, quelque chose qu’elle tente de cerner par le biais de la littérature, bien que ce ne soit personnellement pas facile. "J’ai voulu écrire un roman sur cette partie de moi qui a vécu dans un groupe de méditation qu’on pourrait appeler secte (entre guillemets), pendant neuf ans. Je voulais écrire ce livre, je veux écrire ce livre, mais j’ai peur de l’écrire, et je n’y arrive pas vraiment. J’ai donc donné au personnage de Daniel Laflamme cette partie-là, ce lien avec un gourou, avec un groupe. Ici, ce sont les Archers qui reprennent le thème du centaure." La peur que connaît Daniel Laflamme face à cette problématique, la romancière et poète a appris à vivre avec elle tout en gardant sa joie de vivre, sa curiosité et sa passion par rapport aux belles choses de la vie. "Je connais toujours cette peur. Dans ce genre de groupe, il y a toujours des choses inexplicables et dangereuses. Le personnage dit: "quand on s’approche des ténèbres, on ressent une grande tristesse", et ça, c’est quelque chose que j’ai déjà ressenti. Mais j’ai trop peur pour en faire tout un livre. J’ai plutôt utilisé certains éléments, car c’est fascinant. J’ai transposé beaucoup de mon expérience réelle et en même temps, j’aborde le sujet assez directement. Cette dimension policière est venu de la peur, de la crainte, qui est importante pour moi, comme le mystère."

Poètes et centaures, comme tous les romans de Yolande Villemaire, touche à de multiples sujets comme il nous fait beaucoup voyager. Ici, Val-David et l’ancien hôpital du Mont Sinaï semblent même être le centre du monde, véritable carrefour de plusieurs intrigues romanesques. Comme à l’habitude, la langue de Villemaire bouscule plusieurs frontières, transcendant les genres, les conventions éditoriales, et donnant les plus beaux rôles au rêve et à l’imaginaire.

Poètes et centaures
de Yolande Villemaire
XYZ éditeur
2005, 152 p.