Nicolas Dickner : Cartographie de l’âme
Nicolas Dickner s’impose, avec son premier roman Nikolski, comme un habile technicien du récit sachant toutefois concilier "le travail de plomberie" de la construction romanesque et la métaphysique de l’écriture.
Depuis sa récente parution, Nikolski caracole allégrement sur les palmarès de ventes, succès qui n’est pas étranger à celui, d’estime, que lui a réservé la critique. Un parfum de réussite laissant l’auteur aussi surpris que ravi. Mais pas sans explication.
"On prétend que ce roman, qui est plutôt dans la veine du storytelling, l’art de raconter une histoire, est venu combler une sorte de vide au Québec, expose Nicolas Dickner. En ce moment, on est plus axés sur la recherche d’une voix, d’un style. Le manuscrit a été refusé par un éditeur qui a dit que ce n’était pas une "voix". Ils veulent une plume, ils cherchent un Réjean Ducharme, ils veulent des gens qui ont une signature formelle très forte. Nikolski, c’est un peu l’inverse. C’est un style très épuré. Pas parce qu’il n’était pas foisonnant au départ, mais parce que je me suis imposé de l’épurer. Depuis 2000-2001, j’ai lu principalement en anglais, pour toutes sortes de raisons, et la tradition du storytelling est beaucoup plus forte chez les Anglo-Saxons."
Il y a une notion d’efficacité dans cette langue, une manière de construire des formules simples, mais très évocatrices…
"Et il y a aussi le découpage du texte qui crée un impact visuel des phrases. Ça m’a beaucoup influencé. […] On considère souvent que le style est une affaire formelle, mais j’ai préféré faire de l’histoire l’élément central du style. Autrement dit, plutôt que de commencer à faire des phrases, j’ai commencé à travailler avec des blocs d’histoire, de sens, avec des symboles. C’est ce qui structure le style et la forme."
À propos de l’histoire, les personnages de ce roman vivent en marge, ils sont très seuls, avancent péniblement en fonction d’un passé excessivement flou, inhabituel. Est-ce ce passé extraordinaire qui les empêche d’avoir une existence normale?
"Tout à fait. Le propos du roman, c’est l’histoire de trois personnages empêtrés dans leurs légendes familiales, qui s’entêtent à vivre en fonction de ces légendes-là. En conformité ou en opposition avec elles. Mais leur point de référence demeure toujours cette espèce de mythologie personnelle. Ce n’est que lorsqu’ils sont libérés de ça qu’ils commencent vraiment à vivre. Mais à partir de ce moment, il n’y a plus rien à dire sur ces personnages. […] En fait, c’est le contraire du destin. Le destin, c’est une force dans le futur qui tire les gens. Ici, les personnages sont poussés par quelque chose. Leur trajectoire est déterminée par l’endroit d’où ils viennent."
On sent aussi le rapport au territoire tout au long du récit. Il y a le titre du roman, Nikolski, un village de 36 habitants des îles Aléoutiennes, et tout ce va-et-vient de gens qui voyagent, qui partent…
"Et qui s’installent aussi."
Exact. Mais d’où provient ce rapport aussi fort au territoire qu’entretiennent vos personnages?
"C’est peut-être parce que ce roman a été écrit en bonne partie à l’étranger. La perspective du territoire change quand on part longtemps. […] Mais en fait, ça remonte à beaucoup plus loin. J’ai toujours été fasciné par les cartes géographiques. On a un musée à Rivière-du-Loup [village natal de Dickner, qui vit aujourd’hui à Québec], celui du Bas-Saint-Laurent, qui est un musée d’art actuel, mais qui, à l’origine, était un musée d’ethnologie. Ils ont une bibliothèque de cartes, et à sept-huit ans, l’été, je passais mes journées à fouiller dans ces cartes. […] Il n’y a pas d’autobiographie dans ce roman, mais c’est clairement un livre d’obsessions. De toute façon, je ne sais plus qui donnait cette définition du roman, disant que c’est un réseau d’obsessions organisées, mais c’est à mon avis la description la plus juste qu’on puisse en faire. Si le roman ne témoigne pas d’un certain nombre de manies de l’auteur, il manque quelque chose."
L’âme?
"Oui, il manque l’âme. […] Mais bon, c’est très dur pour moi de parler du rapport à la carte… En poursuivant, je pourrais te dire que, oui, j’aime les cartes, oui, j’en ai sur mes murs. Mais qu’est-ce que ça dit, d’où ça vient? Je ne sais pas. Et là, on tombe dans l’inconscient. D’ailleurs, c’est cette part-là du roman qui est intéressante, parce qu’il m’arrive de l’ouvrir, et d’avoir l’impression que ce n’est pas moi qui l’ai écrit. Il y a quelque chose qui nous tire quand on écrit un livre, quelque chose qui nous dépasse. Si on n’est pas dépassé le moindrement par ce qu’on écrit, c’est pas la peine non plus. Il faut avoir le sentiment que ça nous échappe."( David Desjardins)
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EXTRAIT DE NAISSANCES
Le premier roman de Nicolas Dickner, Nikolski, marquait également le coup d’envoi d’Alto, une division des éditions Nota bene, qui, traditionnellement reconnues pour la publication d’essais et d’études, se lançaient ainsi dans l’aventure de la fiction. Sous la direction d’Antoine Tanguay, cette nouvelle branche se consacrera donc aux romans et aux nouvelles d’origine québécoise, canadienne-anglaise et internationale, avouant une prédilection pour les univers singuliers. D’ailleurs, on annonce déjà, pour avril, la sortie de Point mort, du Canadien anglais Clint Hutzulak, un roman apparemment "très" noir qui devrait bientôt faire l’objet d’une adaptation cinématographique, de même que, pour mai, celle de Miles et Isabel (titre à confirmer), de l’Australien d’origine anglaise Tom Gilling, une histoire d’amour se déroulant au XIXe siècle.
Mais ce n’est pas la seule variation au paysage littéraire de la Vieille Capitale que l’on doive ces derniers temps à Guy Champagne, propriétaire des éditions Nota bene. En effet, il lançait aussi, à la mi-mars, Le Lézard amoureux, une maison d’édition spécialisée dans "la poésie, la prose poétique et d’autres formes inclassables". Prévoyant publier une demi-douzaine de titres par année, cette "micro-brasserie littéraire" nous offrait alors deux recueils, soit Mexiquatrains, de José Acquelin (Tout va rien, L’Oiseau respirable et L’Inconscient du soleil), ainsi que le premier ouvrage d’une jeune auteure de Québec, Méliane Ray, intitulé Les Impulsions orphelines. À noter que trois autres parutions sont prévues pour l’automne. (Josiane Ouellet)