Marc Vaïs : N'importe quoi!
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Marc Vaïs : N’importe quoi!

Marc Vaïs signe un premier livre dont le contrat de lecture n’est pas des plus confortables…

De rythme et d’images, le premier livre de Marc Vaïs en regorge. La construction de ce livre recueillant deux fictions ou deux nouvelles agréablement inclassables est ambitieuse et cohérente dans son genre. L’auteur s’en tient à sa proposition du début à la fin. Pas de changement de registre ni de niveau de langage. Jamais, non plus, nous n’avons l’impression d’avoir affaire à un jeune auteur en ce qui concerne la maîtrise de la langue. Par contre, le désir de bousculer le paysage littéraire, propre aux nouveaux venus, est bien présent. Ce qui, en soit, est un bon point. Sauf que le livre demande une telle disponibilité de la part du lecteur que je ne suis pas certain du tout que Pour tourner la page atteigne véritablement ses objectifs. Exigeant, d’accord, déroutant, je veux bien, mais égarant de la sorte, non. Quand le lecteur perd le nord mais qu’il gagne dans la dérive des perles inespérées, on pardonne tout. Je pense ici au roman Les Baldwin de Serge Lamothe qui n’avait rien de rassurant, mais qui s’avérait d’une densité littéraire exemplaire. Par contre, quand on a l’impression de faire du surplace en alignant des tonnes de mots, ça va moins bien.

Le livre de Vaïs donne le sentiment d’être en présence d’un auteur qui a oublié le lecteur, en d’autres mots, d’un écrivain qui se regarde écrire. Pourtant, il semble conscient de ces pièges au point de s’amuser avec en glissant des passages de la sorte dans la bouche, du moins dans la pensée (rien n’est clair dans ce livre), d’un personnage: "C’est long, écrire, formuler une pensée que l’on capte au vol comme une bulle de champagne. Je ne me regarde pas le nombril. Je ne me masturbe pas, en tout cas pas devant vous. […] Je rends compte de mon expérience personnelle dans la pratique de l’écriture, qui peut arriver à n’importe lequel d’entre vous. Une aventure semblable à celle de n’importe quel artiste, penseur, créateur. On commence quelque chose n’importe comment, et en cours de route on s’aperçoit que ça mène quelque part, que ça cherche à dire quelque chose…" (p. 80)

Dans cette écriture emportée, il y a bien quelque chose qui tente de se dire. Il y a bien des réflexions pertinentes qui jaillissent de la forme, mais en gros, on noie le poisson. Parfois, le poétique étouffe la poésie et, souvent, la métaphore banalise l’image. Et le lecteur a peu de matière à laquelle se rattacher, l’histoire ne se dessine finalement jamais et, du côté de l’absurde, la mayonnaise ne prend pas vraiment. Les jeux avec l’espace-temps sont peut-être réussis, au sens de fonctionnels, mais ils n’arrivent pas à garder le lecteur en état de veille. L’impression d’être dans un cauchemar est probablement désirée par l’auteur, mais est-elle réellement désirable, souhaitable? "On peut écrire n’importe quoi, l’infini nous tend les bras. Et puis de toute façon, l’écriture ne ment jamais", écrit-on en quatrième de couverture. Bref, un livre peu convaincant, malgré le potentiel évident de l’auteur.

Pour tourner la page
de Marc Vaïs
Éd. Triptyque
2005, 112 p.