Michel Fréchette : La vraie nature de Michel Fréchette
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Michel Fréchette : La vraie nature de Michel Fréchette

Si Michel Fréchette se penche sur la nature humaine dans son second roman, il livre également des parcelles de sa profondeur et de sa vision dans un mariage de sagesse et d’ironie.

C’est avec le fou rire que le quinquagénaire auteur Michel Fréchette m’accueille au bout du fil. "Mon fil de téléphone était tout pris en tas! Mon adjointe a dû répondre collée au combiné", dit-il pour justifier la drôle d’introduction. Ce qui décrit fort bien le personnage: un bon vivant communicateur qui prend la vie avec un grain de sel. Dans son premier roman Un matin tu te réveilles… t’es vieux! – paru il y a deux ans et qui lui a valu le Grand Prix de la relève littéraire Archambault 2004 -, Michel Fréchette racontait les historiettes amoureuses d’un homme de 80 ans planifiant une fugue avec trois copains de son centre d’accueil. Il y dépeignait avec une sensibilité désarmante la déchéance et la désillusion des personnes âgées qui sont souvent "parquées" par leurs enfants dans un "centre pour vieux". Dès lors, l’auteur prenait le lecteur au détour de la page avec des réflexions et des questionnements, allégés ici et là par une touche d’humour. Il fait preuve de la même humanité dans son second roman La Nature humaine de Biarritz Monnier et autres détours, mais avec encore plus d’introspection, de sérieux et une bonne dose d’ironie, avec des phrases que le lecteur se surprendra à prendre en note pour y revenir plus tard. "L’espèce humaine, dont je fais partie, m’intéresse et j’avais le goût de créer un personnage qui serait ambivalent et qui se promènerait entre ses idéaux et leur contraire. Ce qui me permettait de jeter un regard ironique sur certaines de nos prétentions, puis sur certains de nos comportements." Ainsi, il a créé le personnage de Biarritz Monnier, un avocat respectable qui se trouve au milieu d’une histoire de meurtres alors qu’un vieil homme sur son lit de mort lui soumet une liste de vengeance comportant le nom des personnes l’ayant fait souffrir au cours de sa vie et lui demande d’exaucer sa volonté de punir les huit derniers noms. "Je me cherchais un personnage qui pouvait illustrer justement les nombreux détours que nous impose notre nature humaine, alors je voulais qu’il soit à la fois noble dans ses intentions, puis capable de mille détours parce qu’il veut de l’argent, du pouvoir, être dans le grand monde… En même temps, il vient de la pauvreté, d’une certaine modestie. Il rêve d’amitié, mais il se révèle capable d’avoir trahi ou de laisser tomber un ami…"

L’idée de la liste vengeresse a particulièrement troublé l’auteur de 59 ans, qui s’est retourné la question à savoir combien de noms figureraient sur sa liste et, encore plus troublant, sur combien de listes se trouverait son propre nom. "Si on demandait au monde de rédiger une liste, ça pourrait commencer très jeune, j’en suis convaincu. C’est difficile de faire un parcours humain sans jamais écorcher personne, sans jamais décevoir et sans jamais rater de rendez-vous avec qui que ce soit."

"Le regard que je jette sur la nature humaine, ce n’est pas un regard pessimiste, mais c’est un regard pour le moins lucide. Nous sommes une espèce très prétentieuse, nous avons l’impression d’être très avancés, or notre intelligence nous induit en erreur… Nous sommes capables encore de tuer nos semblables, de créer des gaz à effet de serre, de créer une société qui génère en quantité industrielle la maladie mentale parce qu’elle écrase les gens, puis en même temps, nous sommes capables d’une immense solidarité."

Si l’auteur a choisi de présenter l’action dans le milieu des affaires, il estime qu’il aurait pu l’inscrire dans un autre secteur: "J’ai placé Biarritz dans le monde corporatif, celui du droit surtout, parce que ça me permettait de faire rebondir l’action. Dans un bureau d’avocats, il y a comme une synthèse des prétentions humaines. Ceci dit, ç’aurait pu se passer dans le monde des médias ou dans le monde artistique, où il y a les mêmes jeux de pouvoir, les mêmes batailles, les mêmes mesquineries…" explique celui qui dirige un cabinet d’affaires publiques.

Questionné sur la tardive prise de la plume, il répond: "Je pense que j’aurais pu écrire ce livre il y a 10 ans, mais pas il y a 25 ans. Cela dit, le regard de quelqu’un qui a 24 ans peut être aussi percutant et aussi pertinent que celui qui en a 59. Je crois qu’il n’y a pas d’âge pour écrire, comme il n’y a pas d’âge pour ne pas écrire. C’est la sensibilité qui est le fabricant des mots, puis qui traduit des regards. Il y a des gens dans la vie qui regardent une bouteille de vin et qui voient une bouteille de vin; il y en a d’autres qui regardent une bouteille de vin et qui voient un vignoble."

Sur ces paroles de sagesse, Michel Fréchette affirme bien avoir écrit toute sa vie, que ce soit des communiqués de presse, des conférences, des mémoires, des stratégies de communication, des rapports de gestion de crise. Pour se détendre, le charismatique orateur griffonnait aussi des poèmes ou de petites histoires. "Je me disais, un jour, je laisserai la place à l’artiste, puis ce jour-là est maintenant venu", conclut-il. Et nous l’en remercions.

La Nature humaine de Biarritz Monnier et autres détours
De Michel Fréchette
Éd. Vents d’Ouest, 203 p.