Réjane Bougé : Écran de fumée
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Réjane Bougé : Écran de fumée

Réjane Bougé nous livre un patchwork de scènes intimes, histoire de se faire son propre cinéma.

Aimez-vous le cinéma? Poser cette question, presque à coup sûr, c’est appeler un "oui" passablement convaincu. L’aimez-vous avec passion et d’assez longue date pour commettre un livre où acteurs, actrices, réalisateurs et scènes mémorables du cinéma de tous genres joueraient un rôle aussi principal que les scènes intimes de votre présent et de votre passé? Déjà là, on perd des joueurs, mais pas Réjane Bougé, qui nous livre, avec Je ne me lève jamais avant la fin du générique, un assortiment d’observations et de souvenirs toujours associés à un film précis, à un moment marquant (ou non) de l’histoire cinématographique.

Ayant appris par sa marraine à distinguer les "belles vues" des "vraies belles vues", l’auteure se plaît à répertorier et à mettre en scène ce qui, dans le plan-séquence du temps qui passe, a formé sa sensibilité de cinéphile. Car, on le comprend déjà, Je ne me lève… est l’œuvre d’un témoin du cinéma, d’une femme pour qui le grand écran ne constitue aucune frontière entre la réalité et ses ricochets dans l’intimité. On passe alors de la "vue" intérieure au film sur toile blanche, des Parapluies de Cherbourg aux premières Barbie aux "seins hauts, bien pointés" évoquant la Bardot de Et Dieu créa la femme, du Crash de Cronenberg, rappelant la jambe amputée du père, aux piscines filmées par Miller, Chabrol, Deray, si chères à l’auteure. Une petite croisière narrative dans un univers où les anecdotes se succèdent, se déploient en multiples menus détails, pour ne rester, il faut le dire, que des anecdotes.

Ce qui aurait pu être un exercice de style intéressant – fondre des scènes de films dans le corps d’un texte de fiction – tombe ici à plat, laissant le lecteur se débattre avec la récurrente impression que l’auteure, écrivaine cinéphile, a simplement eu envie de s’offrir un livre, de se raconter, elle et sa passion, avec toute la complaisance "autofictionnelle" que cela implique. L’autofiction, et toute œuvre frayant dans les plates-bandes du genre, ne devient signifiante, pourrait-on dire, que lorsqu’elle propose une écriture véritable, une voix en mesure d’entretenir un rapport singulier avec le langage et de porter autre chose qu’un relâchement passif du "je". Ici, le français de la phrase, parfois ornemental à la limite du maniérisme, ralentit une lecture qui, au cœur d’une œuvre sans réelle portée, voudrait se poursuivre sans achoppements inutiles.

Si le propos est d’une minceur transparente, si la rectitude langagière ne se fait malheureusement pas oublier, on nous convie quand même à un "récit", c’est inscrit sous le titre de l’ouvrage. Or, ce récit, de segments en segments – il y en a 34, impossible de les appeler "chapitres" -, on l’attend toujours. Dans un de ces segments intitulé La Vie en rose, on lit: "[…] le trivial n’a aucun scrupule à entrer en collusion avec le grand art!" Règle générale, l’idée tient la route. Mais considérant Je ne me lève jamais avant la fin du générique, on en vient à en douter.

Je ne me lève jamais avant la fin du générique
de Réjane Bougé
Éd. Québec Amérique
2005, 240 p.