Pierre Gobeil : Le temps suspendu
Pierre Gobeil, après quelques années silencieuses, vient de faire paraître La Cloche de verre, un recueil de fictions au ton résolument virulent.
Un exergue de Sartre coiffe le recueil: "Rien n’est sans remède et, dans le fond, rien ne bouge, les vaines agitations de la surface ne doivent pas nous cacher le calme mortuaire qui est notre lot", nous sommant, comme tout exergue, à approcher sous cet angle les écrits suivants. Le temps n’altère pas les éléments posés sous la cloche de verre, comme Blanche Neige reposant à jamais belle et pure dans son cercueil de verre. "C’est que rien ne change, au fond, confirme Pierre Gobeil. Ou enfin, quand ça change, ça ne change pas beaucoup." De fait, il est beaucoup question du temps qui passe et de cet état statique des choses, des gens, appuyé, d’une manière ou d’une autre, dans chacun des quatre récits du recueil.
Mais l’unité du recueil ne tient pas qu’à ce fil de lecture, donné au départ par le titre et l’exergue. Les textes sont tous écrits avec ce même ton, corrosif, véhément; une violente prise de parole du narrateur. "Oui, c’est un narrateur, évidemment, c’est un personnage!" s’exclame l’auteur lorsqu’on soulève la question, prenant comme exemple toutes ces formes d’autofiction qui abondent par les temps qui courent, ces véritables fausses autobiographies, et toutes les variantes du genre faits vécus, supposant que la distinction auteur-narrateur ne se fait pas (plus) toujours automatiquement. "On devrait toujours la faire!" remarque Pierre Gobeil, qui en a long à dire sur le sujet. "Quand on travaille un texte, ce n’est pas un courrier du lecteur! À partir du moment où il y a un souci d’esthétisme, un travail d’écriture, une construction, forcément, ça devient quelque chose qui n’est pas vrai. Devant un tableau très dur, on ne demande pas au peintre s’il a réellement coupé la tête de la femme! La littérature comme telle est forcément une fiction. Un bon lecteur devrait le savoir, et en tant qu’écrivain, on s’imagine toujours que nos lecteurs sont idéaux." (Celui de Pierre Gobeil se cache-t-il derrière ce tu, familier, du dernier texte?)
Le narrateur, donc, personnage de ces petites fictions, se laisse aller dans ses réflexions à l’humour caustique, grinçant, prenant plaisir à en remettre et à renfoncer le clou, le tout dans "un tsunami de langage", dixit l’auteur, qui cite en exemple Thomas Bernhard, Elfried Jielineck, Peter Handke et d’autres écrivains autrichiens à la plume féroce. Ce tsunami, pour reprendre le terme, se traduit par l’accumulation et la répétition de détails, de noms, de faits, déboulant pour appuyer l’idée qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil: "…en espérant qu’après toutes ces années j’aie réfléchi, alors qu’eux, président, vice-président, secrétaire, responsable du comité de ceci ou du comité de cela se font un point d’honneur de ne pas avoir bougé d’une miette, les mêmes, qui n’ont pas changé de bobettes, les mêmes qui sont, si je me fie aux mille lettres, fax, coups de fil ou messages Internet qu’ils m’ont fait parvenir depuis les vingt dernières années, les trente dernières années, les trente-deux dernières années pour être précis, restés exactement pareils que le président, le vice-président, le secrétaire ou les responsables du comité de ceci ou de cela qu’ils étaient alors…"
Pourtant, on le sent, sous ce cynisme et cette charge en règle contre certaines antiennes, point ce qui peut ressembler à une confiance renouvelée envers la puissance des mots et le pouvoir de la littérature de changer le monde: "une petite phrase construite avec des mots justes a toujours quelque chose à dire à quelqu’un…"
La Cloche de verre
Éd. Triptyque, 2005, 151 p.