Vania Jimenez : De père en fils
Vania Jimenez quitte l’univers médical de son premier roman pour celui des orphelinats du siècle dernier. Un livre marqué par l’amour des hommes, des enfants et de la musique.
Médecin salué pour son humanisme et son implication dans la communauté, mère de sept enfants, Vania Jimenez était déjà un phénomène en soi avant qu’une vocation de romancière ne s’impose à elle. Un premier livre paru en 2003, Le Seigneur de l’oreille, mettait en scène une héroïne qui, à l’image de son auteure, exerçait la médecine dans le quartier multiethnique de Côte-des-Neiges. Au cœur de son propos: une critique de notre système médical et une remise en question de sa propre pratique, de plus en plus ouverte à des conceptions de la santé inspirées par des cultures et des spiritualités différentes.
Attaquant avec Le Silence de Mozart un sujet moins autobiographique mais toujours en lien étroit avec nos institutions, Jimenez nous fait pénétrer dans le monde des anciens orphelinats tenus par ces congrégations religieuses récemment éclaboussées par les révélations d’abus subis par de nombreux enfants, les fameux "orphelins de Duplessis". Elle tranche toutefois avec le discours dominant porté sur ces institutions. Jimenez entreprend en effet d’y réhabiliter la vocation des frères et des sœurs qui, pour la plupart, se sont consacrés sans arrière-pensée à soigner et à élever des milliers d’enfants parmi les plus démunis de la société.
Le récit débute de nos jours: pianiste classique, Michel Adler se remet difficilement de la séparation d’avec sa femme, Anaïs. Alors qu’il conduit leur fils Alexis à une base de plein air, l’enfant tombe malade, l’obligeant à demeurer auprès de lui et à partager la vie des frères propriétaires de l’endroit qui, autrefois, servait d’orphelinat puis de centre pour jeunes délinquants. Sympathisant avec ses hôtes qui lui racontent l’histoire de leur établissement, Michel finit par comprendre que son propre père y a été élevé dans les années 40 en compagnie de son frère, un oncle que le héros n’a jamais connu et qu’il retrouve sous les traits du vieux frère Laurier. Cette révélation salutaire aidera les deux hommes à reconstituer la lignée masculine de leur famille. Michel en retirera un nouvel équilibre et verra l’abandonner cette angoisse qui l’envahit lorsqu’il répète l’Opus 106 de Beethoven par lequel il est obsédé. Quant à Laurier, impliqué à tort dans un scandale sexuel quelques années auparavant, il trouvera grâce à son neveu et à son petit-neveu l’occasion de se réconcilier avec le monde.
À l’intéressant lyrisme et aux différents points de vue narratifs qui s’enchevêtrent habilement dans Le Silence de Mozart correspond une trame musicale, inspirée tant par l’opéra que par La Bonne Chanson, héritage transmis de père en fils, ainsi que par les frères aux orphelins. L’on pourrait toutefois juger agaçante la propension de l’auteure à vouloir tout mettre en contexte, diluant sa matière romanesque par de nombreux glissements vers l’essai. Par exemple, la relation amoureuse entre Anaïs et Michel n’a pas plus besoin d’être décrite dans le cadre de l’évolution des relations hommes-femmes que la punition d’un enfant dans celui d’une époque qui autorisait les châtiments corporels. Le lecteur préférerait qu’on le laisse errer un peu plus librement dans cette histoire peu ordinaire.
Le Silence de Mozart
de Vania Jimenez
Éd. Québec Amérique
2005, 384 p.