Henning Mankell : Secteur privé
Henning Mankell nous ramène en arrière, quand son enquêteur-vedette n’avait pas 50 ans et qu’il songeait à se retirer.
Les tractations commerciales entre éditeurs mêlent parfois un brin le lecteur, qui ne comprend pas toujours pourquoi un titre de son auteur préféré ne paraît pas en traduction. Les fidèles du romancier suédois Henning Mankell risquent d’être un peu perdus en ce qui concerne la chronologie des aventures de Kurt Wallander. Car si L’Homme qui souriait est le 8e titre traduit en français qui met en scène le célèbre inspecteur, il s’agit en fait du quatrième de la série "Wallander père". Ce "nouveau" livre suit donc La Lionne blanche (dans lequel Wallander enlève la vie d’un homme pour la première fois) et précède Le Guerrier solitaire, roman qui coïncide avec l’arrivée de son auteur au Seuil et le début de son succès au Québec. C’est donc avec Le Guerrier solitaire que la plupart des lecteurs francophones ont pris le train Mankell, sans pour autant remonter le passé de l’inspecteur et aller lire les premiers titres de la série.
Avec L’Homme qui souriait, c’est un Wallander déprimé, fatigué et fortement alcoolisé que l’on retrouve. Il est d’ailleurs sur le point de remettre son insigne. Méconnaissable, il s’est éloigné de tous et de ce qu’il aimait, le définissait. Il n’écoute plus d’opéra et ne fait que se balader sur une plage à des kilomètres de chez lui, et ce, quand il n’est pas trop saoul pour mettre un pied devant l’autre. C’est la visite d’une connaissance, un avocat, qui le sort finalement de sa torpeur. Venu lui demander d’enquêter sur "l’accident" ayant causé la mort de son père, qui était à la tête du cabinet familial, l’avocat est tué par balle peu de temps après son passage. Saisi, Wallander se redresse et reprend le boulot. L’enquête se déroule dans les hautes sphères de la finance de Suède, où l’enquêteur et son équipe tentent de cerner un magnat aussi important que mystérieux, un homme charismatique et brillant, qui ne se montre jamais en public et possède un humour morbide.
Une des forces de Mankell, qui est également un homme de théâtre (dramaturge, il dirige une troupe au Mozambique où il passe la moitié de son temps) et un auteur pour la jeunesse, est de ne pas perdre son lecteur lorsqu’il s’éloigne de l’enquête pour pénétrer dans l’univers psychologique ou familial de ses personnages. La tentation de la littérature canonique n’est jamais très loin chez bien des auteurs de polars, mais souvent, le genre, qui a ses propres règles, ne pardonne pas à ceux qui tentent d’allier intrigues amoureuses, tourments personnels, univers familial et intrigue policière. Pour un Pennac passant assez bien de la collection blanche à la noire avec le même type de littérature, plusieurs se plantent. On n’a qu’à penser à quel point Michael Connelly peut nous ennuyer avec ses amourettes hollywoodiennes alors qu’il sait pourtant mener une histoire. Avec Mankell, c’est tout un pays que l’on apprend à connaître par les digressions littéraires.
Un bon roman.
L’Homme qui souriait
de Henning Mankell
Éd. Seuil policiers, 2005, 368 p.