Léonie Imbeault : Le miracle de l'écriture
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Léonie Imbeault : Le miracle de l’écriture

Avec Léonie Imbeault, France Vézina présente une œuvre grouillante, affamée de tout, qui lance une poignée d’étoiles au visage du désespoir.

Dès les premières pages, Léonie, onze ans, se retrouve alitée, en proie à une pneumonie qui la plonge dans sa première expérience initiatique: devant elle, un spectre surgit du mur, un être à tête de cheval qui l’entraîne dans une grotte, là où, "à même les parois, de jeunes enfants dessin[ent] et peign[ent] des Chevaux de lumière […] Des lettres se pos[ent] sur elle: sur ses mains, ses épaules, ses pieds, entr[ent] dans ses yeux, ses oreilles, sa bouche". Elle se réveille alors, elle survit; le docteur parle d’un miracle. Ce qui l’a sauvée, on l’a bien lu, ce sont les chevaux et le langage, deux présences qui se déploieront comme une paire d’ailes au fil du roman, toujours portées par le souffle brûlant de l’imaginaire.

"Boule d’énergie", "petit Monstre Radieux", Léonie embrasse et étreint le vivant jusqu’à devenir comme lui: battante, foisonnante, démesurée. Elle tombe dans la marmite du verbe, s’amourache des mots, nourrit ses Cahiers comme d’autres les oiseaux. Elle se fortifie de deux alliés: Lautréamont, avec ses Chants de Maldoror, puis Baudelaire, avec ses Fleurs du mal chantées par Ferré. Livre et disque sont vite confisqués et détruits. Léonie fugue une fois, deux fois. La nature virevoltante de leur fille inquiète Motus et Bouche Cousue. Solution? Séjour en neuropsychiatrie. Fermée comme un poing devant le spécialiste, elle protège le petit dieu cracheur de vie à l’intérieur d’elle en même temps que grandit la colère. Même fierté hagarde, royale, trois ans durant, à l’école de réforme. Lorsque enfin elle en sort, elle s’en remet aux seules choses qui lui ressemblent, à l’écriture et aux chevaux qui la parcourent encore, ceux qui surgiront de ses mains, de ses mots, et la feront devenir ce qu’elle est depuis le début: un miracle farouche et continu.

Or, Léonie Imbeault ne porte pas que le récit de cette jeune intrépide, mais également celui d’Émilie Lajoie, celle qui nous raconte les aventures et les remous de Léonie, celle qui écrit ce roman se formant sous nos yeux. Veuve, deux enfants, échec professionnel, fragilisée par le sort jusqu’au désir de mort: "[…] entre le réel et l’imaginaire, dans ma tête, quelque chose de similaire à une rupture d’anévrisme s’était produit: c’est pourquoi j’ai entrepris l’écriture d’un roman […] pour ne pas crever de peur, de chagrin, de rage." Ainsi, de l’intérieur, voit-on évoluer Léonie, "cette petite inconnue" qu’Émilie aspire à connaître, cette petite chenapante de démiurge qui, dépassant les limites du papier, ressoude la narratrice à son essence.

Suite conséquente d’Osther, le chat criblé d’étoiles (1990), dont la prose dansante et gorgée de poésie avait fait mouche, France Vézina offre une œuvre qui, bien que parfois échevelée ou redondante, en arrive à une alchimie singulière, chercheuse, travaillant sans réserve derrière les apparences, là où la candeur se fait grave et la noirceur bienveillante. Un roman qui situe l’auteure où elle est déjà, parmi les figures-clés du paysage littéraire québécois.

Léonie Imbeault
de France Vézina
XYZ Éditeur, coll. "Romanichels"
2005, 296 p.