Catherine Lalonde : Corps étranger
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Catherine Lalonde : Corps étranger

Catherine Lalonde interroge la différence des sexes, le rapport maître/esclave et la colère dans son long poème Cassandre, publié chez Québec Amérique.

"Tu mets tes cheveux dans tes yeux / pour ne rien voir / et cacher de douceur le pire et l’essentiel / tes manches roulées hautes et le cœur à l’ouvrage / tu défriches à l’aveugle / tu dégèles ma face de vieux cul"

Ainsi s’ouvre cette singulière suite poétique qu’est Cassandre, qui consacre l’arrivée par la grande porte dans la Communauté des Inspirés de la poète – et danseuse professionnelle – Catherine Lalonde.

Les théoriciens de l’écriture se querellent depuis des siècles là-dessus: l’écriture a-t-elle un sexe? Catherine Lalonde tranche: bien évidemment! "J’ai voulu m’amuser à écrire en mâle. Je vais dire une chose horrible, mais l’écriture qu’on appelle féminine, ça m’énerve! Et puis, cette idée d’écrire le regard de l’homme sur la femme me plaisait beaucoup, car j’ai toujours eu envie d’être une espèce de Jane Birkin, de me faire inventer… mais ce n’est jamais arrivé! (rires) C’est peut-être pour cette raison que je fais de la scène: ainsi, je me retrouve dans un regard, que ce soit celui du public ou du chorégraphe, où j’ai l’impression d’exister davantage."

Notamment par le biais des rapports dominant/dominé, illustrés par la métaphore du maître et de la chienne, la poète tisse au fil des pages une relation d’amour trouble, qui s’incarne dans le champ lexical de la terre, celle que l’on cultive, et dans les différentes parties du corps, omniprésentes, à la fois sièges du plaisir et lieux élus de la douleur. "L’écriture, comme la danse, est un acte de récupération de mon corps, de ses sensations, car chez moi, mon premier réflexe est cérébral, je ne suis pas du type physique", confie la danseuse qui était de la récente tournée européenne Joe, de Jean-Pierre Perreault.

La grande qualité de Cassandre réside dans l’envergure de son souffle, qui se mesure aux envolées de Gaston Miron ou de Gérald Godin. On imagine aisément la poète fiévreuse, rédigeant son premier jet d’une traite. "C’est l’un des plus beaux compliments qu’on puisse me faire. J’aime qu’on ait l’impression que c’est une décharge alors que j’ai planché sur ce livre pendant trois ans. En fait, le premier jet est seulement constitué de trois pages, que les lecteurs reconnaissent assez souvent d’ailleurs. Je travaille comme ça, à partir d’une voix, d’un ton, d’un style que j’ai envie d’amener ailleurs."

Malgré la rigueur exigée par son écriture, Cassandre sait toucher son lecteur. Un parti pris avoué de la poète, qui refuse de vivre dans une cloche de verre: "J’ai le souci d’être accessible même si je sais que mon écriture est plutôt abstraite. J’ai construit le poème pour qu’on puisse le lire comme une histoire. Je ne me suis concentrée que sur un maître et sa laisse, car plus le terrain de jeu est petit, plus on peut se donner de liberté. J’ai placé des points de reconnaissance pour le lecteur, de nombreuses répétitions aussi."

À Québec, au dernier Salon du livre, Catherine Lalonde a cloué sur place une cinquantaine de spectateurs par sa lecture enlevée de Cassandre. À découvrir!

Cassandre
de Catherine Lalonde
Éd. Québec Amérique
2005, 88 p.