Le lézard amoureux : Bain de soleil
Le lézard amoureux, nouvel éditeur de poésie parrainé par Nota bene, accouche de deux recueils toniques signés Méliane Ray et José Acquelin.
Premier recueil poétique de Méliane Ray, Les Impulsions orphelines découpe en trois parties les vertiges de la naissance intérieure. Cité en exergue, Artaud ouvre le bal: "Il faut beaucoup de temps pour parvenir à naître mais quand on y est une fois arrivé c’est pour toujours." Entre soi et soi, il y a plusieurs paysages obscurs et changeants à éclairer par le langage. Or, si bien souvent le sens nous rassure en désignant une direction, une certitude, il peut tout à la fois nous pétrifier, nous défaire, demeurer mystérieux et implacable: "je me laisse filer sur des métiers vétustes / dresser sur des socles / qui s’effritent / à la vue de signes cryptés / dans mes orages."
À lire le travail de Méliane Ray, on comprend que cette quête originelle ne suit aucune piste à sens unique et ne peut s’effectuer par le langage que si celui-ci, à son tour, déploie ses possibles en ouvrant la voie, comme l’écrivait Jacques Dupin, à "une naissance abrupte et infinie". Abrupt, le mot tombe pile. Les Impulsions orphelines propose en effet une écriture qui, tant dans la consécution des images, dans l’édifice de sens des poèmes que dans l’exploitation de l’espace graphique, prend le pari d’un certain escarpement. Ouvrant à la fragmentation des codes, déconstruisant le langage pour le faire sien, le recueil offre par sa densité bien orchestrée une vision de la poésie qui n’est pas sans rappeler, par ricochet, celle de la poésie française des années 50 et 60 ainsi que celle des années 70 au Québec. Plus radicale que d’ordinaire aujourd’hui, cette conception du poème demeure toutefois contemporaine grâce à cette exigence, à cette maîtrise du matériau et à cet esprit de mesure dont font foi les vers et les blocs de prose de l’ouvrage.
L’auteure travaille l’ellipse avec assurance, déplace l’optique, confectionne ses textes comme autant de tissus serrés où se dessine une alliance entre le terrestre (pollens, muscles, "ardeurs végétales") et le mythique (Sphinx, dryade, auspice). Elle crée de la sorte une œuvre où "les eaux-fortes qui grouillent encore au dos de la fureur" se trouvent à révéler "les palmes rouges du silence". Somme toute, un recueil généreux, à angles multiples, comme une sculpture d’origami.
LA QUADRATURE DU CERCLE
"le soleil a fait feu de ma personne / je suis écrit par l’amour de ce qui ne se dit pas", écrivait José Acquelin dans L’inconscient du soleil (Herbes rouges, 2003). Membre du comité de rédaction de la revue Estuaire, figure omniprésente de la scène poétique québécoise, l’auteur proposait alors un premier recueil écrit en terre mexicaine dans lequel, déjà, l’attention poétique procédait d’une conscience méditative. Les poèmes de Mexiquatrains témoignent également de cette pratique, assemblant ce qui se révèle un prolongement organique du recueil de 2003. Le présent ouvrage s’avère toutefois autonome et repose – le titre l’annonce – sur une nouvelle donne: le 4. On y retrouve 112 (1+1+2 = 4) strophes de 4 vers massées en divers poèmes et défilant sur un nombre incertain de pages, chacune étant flanquée, au bas de l’espace, du chiffre 4. Une fantaisie conceptuelle qui pourrait librement, poétiquement, faire allusion aux préceptes architecturaux et ésotériques de la construction des pyramides mayas: "l’horizon forme une pyramide sans escalier / verticalisez un côté vous avez un quatre / enlevez l’autre côté une croix vous ixe / relevez vos yeux une étoile vous fixe."
Or, ce qui apparaît central dans chaque page, c’est cette science de l’intuition propre à l’auteur. On pourrait également parler d’une liberté à langue chercheuse, d’une lucidité ludique, d’une passion simple pour le mot et pour le monde. Une écriture à plusieurs dimensions, faite de détournements de sens par des jeux de langage ("cette sollicitude du soleil cette soleillitude"), de recherches phonétiques ("chaque corps clame sa clé et son calme"), de sentences énigmatiques ("l’eau du ciel rend plus naturelles les larmes de l’esprit"), d’étonnantes fugues de l’imaginaire ("je suis dans le ciel le vent m’a éternué là ") et de vers acérés, semblables à des armes de voix ("je ferme un peu la gueule au destin quand je ne sers à rien").
Constant, José Acquelin fréquente une fois de plus l’essentiel, l’ailleurs au cœur du réel, avec tout ce que cela représente de profondeur et de légèreté. Et si, comme il l’écrit, "la lune est l’inconscient du soleil", la poésie de Mexiquatrains, pour sa part, invente un cinquième point cardinal.
Les Impulsions orphelines
de Méliane Ray
Éd. Le lézard amoureux, 2005, 57 p.
Mexiquatrains
de José Acquelin
Éd. Le lézard amoureux, 2005, 48 p.