Richard Seff : Écran de fumée
Le parolier Richard Seff commet un premier roman, qui montre les dessous du phénomène médiatique majeur de la décennie: la télé-réalité.
"C’est un sujet dont on a abondamment parlé, mais j’avais l’impression de pouvoir le faire, à partir de mon expérience, de façon un peu particulière." Auteur-compositeur prolifique, proche collaborateur d’Axelle Red, Jean-Jacques Goldman et Francis Cabrel, Richard Seff explique ainsi l’intention qui a mené à l’écriture de La Décadanse, un roman qui scrute la télé-réalité depuis l’intérieur. Préoccupé par ce monde à cheval sur le showbiz et le concours de popularité, il questionne plus qu’il ne condamne, inquiet. "Sachant ce qui se passe en coulisse, je voulais montrer ce que vivent les jeunes qui sont happés par de telles machines. À la limite, le sujet est moins la télé-réalité comme telle que ses répercussions dans les médias et dans l’industrie; les rouages qui nous présentent des gens sortis de nulle part comme des vraies stars, auxquels on accorde sans hésiter des pleines pages de dossiers dans les journaux."
Écrite au "je", celui de Vincent Mallorie, l’histoire prend la forme d’une confession. Dans un bar, un jeune Toulousain raconte sa trajectoire grisante puis cruelle, depuis cette idée folle qu’il avait eue avec quelques copains, pour rire, d’aller passer les auditions de Bande Appart, l’émission-réalité de Télé 6 (un genre de Loft story). Vincent, c’est le Wilfred de service. Intelligent, charmeur, aussi lucide qu’on puisse l’être au tournant de la vingtaine, il n’est pas dupe du concept mais se laisse glisser dans le chatoyant univers d’un vedettariat prêt-à-porter. Dans l’appartement où lui et les autres concurrents sont enfermés pendant des semaines, il tombe amoureux de Chloé, musicienne tout comme lui. Bientôt coqueluches de la France entière, ils enregistrent une reprise de La Décadanse, du tandem Gainsbourg-Birkin. Un tube instantané, qui marque aussi le début des problèmes pour les oiseaux rares. On se les arrache, et on ne veut surtout pas qu’ils prennent trop de libertés avec le scénario de leur ascension…
En France comme au Québec, la télé-réalité a occupé ces dernières années un espace ahurissant au petit écran. Richard Seff prend garde de ne pas jouer le Véritable Artiste poussé sur la voie de service par une horde de gamins, mais certaines conséquences le troublent. "Tant que ça demeure une forme de jeu, ça ne me dérange pas du tout – à moins que ce soit complètement débile comme L’Île de la séduction [un sommet de la télé-réalité hexagonale]. Mais il faut garder à l’esprit qu’il y a une finalité à tout ça, qui est pour les médias de faire de l’audimat, pour les maisons de disques de vendre des albums, et ainsi de suite. Un système imparable, il faut l’admettre, mais ça se fait souvent au détriment de la vraie création."
Encore un fois, le roman ne vise personne en particulier, traçant surtout le portrait sensible de ceux pour qui le rêve vire au gris, voire au noir. "On me dit souvent que je n’ai pas été très méchant, mais justement, mon but n’était pas de briser telle ou telle personne. Je voulais expliquer une certaine logique; montrer que si un projet artistique était d’abord l’affaire d’un directeur de marketing, d’un producteur de télévision, d’un président de label, chacun faisant d’ailleurs son métier le mieux possible, on en arrivait souvent à remplacer les vrais chanteurs, qui ont une démarche patiente, par des espèces de clones, qui sans le vouloir trompent un peu le public. Et se trompent eux-mêmes, d’ailleurs."
Au-delà de ce portrait touchant, plein d’humour et tourné par quelqu’un dont le sens de la formule hérité de la chanson lui permet de ramasser toute une problématique en quelques mots, Richard Seff porte un regard large sur ce qui trop souvent fait la valeur ou la limite de nos contemporains. "On fait souvent les choses à l’envers, de nos jours: on fait d’abord connaître l’intimité de quelqu’un, on en fait une personnalité publique, pour ensuite s’intéresser à ce que cette personne crée. La qualité première aujourd’hui, ce n’est pas d’avoir du talent, c’est d’être connu!", résume-t-il.
La Décadanse
de Richard Seff
Éd. Flammarion
2005, 311 p.