Élisabeth Vonarburg : Maîtresse de l'illusion
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Élisabeth Vonarburg : Maîtresse de l’illusion

Élisabeth Vonarburg possède un don, celui de pouvoir créer des univers tellement réalistes qu’on finit toujours par croire en leur existence. Sa nouvelle épopée, Reine de Mémoire, ne fait pas exception.

Qu’on se le tienne toutefois pour dit, les univers comme celui de l’imposant Tyranaël (éd. Alire, 1996 et 1997) ne naissent pas d’un coup de baguette magique, et ce, même si Élisabeth Vonarburg, qu’on décrit avec raison comme la reine de la science-fiction québécoise, est reconnue pour ses longues sagas bien touffues. D’ailleurs, lorsqu’on lui fait la remarque, la volubile écrivaine établie au Saguenay depuis son arrivée au Québec en 1973 éclate de rire et s’exclame: "Nooon!"

Lorsque la dernière partie de Reine de Mémoire, La Maison d’Équité, sera publiée en novembre 2006, le roman fera dans les 2000 pages. "Avec Tyranaël, j’ai connu le plaisir d’avoir l’espace pour mettre un monde en place, sans tourner les coins ronds, et ainsi donner (à l’histoire) toute la profondeur, toute la texture, toute la multidimensionnalité nécessaires. J’aime bien en donner aux gens pour leur argent, et puis, étant donné tout le travail que je consacre à l’écriture, autant y aller à fond", s’exclame l’écrivaine, qui ajoute en reprenant son sérieux: "Reine de Mémoire est une uchronie. C’est une histoire parallèle et on ne traite pas ce genre de monde-là en laissant plein de trous. Il faut que l’impression de cohérence qu’a le lecteur soit suffisamment forte, que les trous soient placés juste aux bons endroits pour qu’il ne tombe pas dedans et puisse éventuellement les remplir avec ce qu’il y a autour. C’est donc tout un travail de construction qu’on ne peut pas achever en un volume", estime Élisabeth Vonarburg. Autrement dit, il est parfois plus facile d’écrire de longs romans que de courts romans. Dans le cas de Reine de Mémoire, le format long était d’autant plus approprié que l’auteure refait le monde intégralement à partir de la naissance de Jésus et de sa sœur jumelle Sophia, jusqu’à la découverte des Atlandies (l’Amérique du Nord) et leur conquête par les Géminites.

Vous avez bien lu. Dans Reine de Mémoire, Jésus a une jumelle qui s’appelle Sophia, et c’est à partir de cette légère déviation de notre réalité que l’univers parallèle d’Élisabeth Vonarburg s’épanouit en un majestueux canevas tissé avec un étonnant sens du détail. L’auteure a d’ailleurs eu l’idée géniale de nous faire découvrir son univers, dans lequel existe la magie (la magie verte des plantes, des animaux et des humains; la magie bleue qui permet à l’âme des défunts de transmigrer vers la sphère divine; et la magie rouge, pratiquée à des fins malfaisantes par les nécromants), à travers les yeux de trois enfants: les jumeaux Senso et Pierrino et leur petite sœur adorée Jiliane, respectivement âgés de 5 et 3 ans au début de la saga familiale. Car les quatre volumes de Reine de Mémoire racontent l’épopée de plusieurs générations de Garance à travers les époques, et le monde. "Quand j’ai commencé à écrire Reine de Mémoire, mon premier réflexe a été de questionner les personnages, les lieux et les décors afin de savoir qui raconterait l’histoire. J’ai rapidement réalisé que ce serait un roman à points de vue multiples où chaque séquence a un personnage-narrateur différent", explique l’auteure. Conséquemment, Senso, Pierrino, Jiliane ainsi que leur ancêtre Gilles Garance sont les quatre personnages-narrateurs du premier volume intitulé La Maison d’Oubli, et dont l’histoire débute en 1789, en France.

DE LA SCIENCE-FICTION AU FANTASTIQUE

La Maison d’Oubli est la première incursion de l’auteure en territoire fantastique historique. Avec sa "fenêtre-de-trop" visible seulement de l’extérieur et sa carte magique qui transporte Senso et Pierrino ailleurs quand ils y plantent un stylet, le roman sera inévitablement comparé aux aventures d’un autre jeune héros de romans fantastiques, Harry Potter. Les ressemblances entre les péripéties du magicien et celles des trois enfants élevés par leur grand-père Sigismond à la suite de la mort tragique de leurs parents ne sont toutefois que ce qu’elles sont: de vagues ressemblances. "Des histoires de jeunes magiciens dans des écoles de magiciens, il y en a depuis, quoi, 50, 60, 70 ans? Mais aujourd’hui il y a une conjonction; les médias, les jeux de rôle, Tolkien (Le Seigneur des anneaux), le phénomène Star Wars, tout ça a remis les histoires fantastiques à la mode. Harry Potter est arrivé au bon moment, au bon endroit, et c’est tant mieux pour J.K. Rowling", conclut l’auteure, tout en déplorant le peu d’intérêt qu’on accorde aux excellents auteurs de fantaisie québécoise.

Les deux prochains volumes de Reine de Mémoire, Le Dragon de feu et Le Dragon fou, seront disponibles en novembre 2005 et en avril 2006.

Reine de Mémoire, La Maison d’Oubli
Éd. Alire, 2005, 672 p.