Marie Uguay : Signes vitaux
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Marie Uguay : Signes vitaux

La poète Marie Uguay déjoue la mort avec son Journal, un document posthume grave et lumineux, une œuvre littéraire à part entière.

D’abord, le visage sur la couverture: frais, calme et prêt, avec dans la distance discrète du regard, quelque chose d’élégiaque, d’irréparable. Sur la photo, Marie Uguay a 26 ans, 1981, l’année où un cancer des os aura raison d’elle. En 1977, elle se fait amputer la jambe droite pour freiner la propagation du mal. C’est à cette époque qu’elle entreprend l’écriture de son Journal. Elle y consigne la violence du vertige, la détresse, mais également le besoin du monde et du verbe: "J’ai le goût du travail en poésie comme ma dernière chance de bonheur".

Ponctué de poèmes et de vers destinés ou non au recueil qui occupe les efforts de la poète, le Journal offre un généreux bouquet de pistes aidant à suivre le déploiement de l’œuvre poétique. Signe et rumeur (1976) étant déjà sur les rayons des librairies, on devient alors témoins des questionnements, frustrations et désirs accompagnant ses deux derniers recueils pendant leur gestation: L’Outre-vie (1979) et Autoportraits (posthume, 1982). Elle aborde aussi avec lucidité les conditionnements culturels fondant la difficulté d’être femme et créatrice. Ce qui ne l’empêche pas, malgré l’abattement moral, de concevoir l’acte d’écrire à la fois comme élan d’amour, exigence de transcendance, de transfiguration totale du vécu. "Prière, incantation, exorcisme ", le poème confère à la poète le pouvoir de "refaire la vie".

Si des onze cahiers du Journal la recherche et l’écriture ne sont jamais absentes, on pourrait dire la même chose du désir. Marie Uguay s’y présente vibrante, tracassée d’amour, écartelée entre Stéfan, son conjoint et complice, et Paul, son médecin, un homme calme, raffiné, de plusieurs années son aîné. Cette tension complexe court dans les pages du Journal comme une rumeur croissante. Ce drame passionnel lui insuffle une énergie brute et étrange, la fait évoluer sur un fil de fer, au seuil d’elle-même et de son écriture, lui fait affronter ses contradictions et la tourmente imparable du rapport à soi.

La qualité de cette œuvre ne repose pas seulement sur l’acuité intellectuelle de Marie Uguay, sur sa prose alerte et implacable, mais également sur le travail de Stéfan Kovacs, conjoint de l’auteure à l’époque. Établi, annoté et présenté par lui, le Journal se révèle d’une étonnante unité dans la succession des cahiers et donne la franche impression d’une entreprise de bénédictin. Les réflexions intimes de la créatrice dialoguent harmonieusement et de façon féconde avec les poèmes inscrits au vif, en pleine genèse.

Complément inespérées à l’œuvre de Marie Uguay, ces 332 pages constituent plus qu’un document de référence: elles charrient une présence habitant encore le monde en poète. Du désir lyrique des éléments jusqu’au chavirement d’être soi, le Journal nous convie à relire ces Poèmes (Boréal, 2005, version augmentée) brossant des tableaux grandeur nature de cet esprit qui, citant Neruda, nous rappelle en substance qu’"il faut tout un travail obscur / pour que les étoiles soient vertes".

Journal
de Marie Uguay
Éd. Boréal, 2005, 332 p.
Poèmes
Éd. Boréal, 2005, 213 p.