Leçons d’absence : Vers libres
Avec Leçons d’absence, un spectacle regroupant quatre créations alliant musique et littérature, la modernité est à l’honneur. Rencontre avec Jean-François Poupart, l’un des auteurs de l’événement.
"La poésie et la musique contemporaines, ce sont deux mondes extrêmement clos. À la limite, on pourrait dire qu’il s’agit d’aristocrates de la culture actuelle. Ils ne dépendent pas d’un public et ils sont énormément modernes et libres. Pas de référents, pas de postmodernité, pas de nostalgie, pas de rigodon, pas d’ancienneté: seulement de l’hypermoderne!" Celui qui parle ainsi, c’est Jean-François Poupart. Poète, musicien, professeur au Cégep, éditeur de la maison Poètes de brousse, c’est aussi un personnage coloré au franc-parler rafraîchissant, un homme qui a plus d’une flèche à son arc et qui est toujours fasciné par la marginalité et par l’art brut, pur, sans concessions.
"Ça fait sept ou huit ans que je travaille avec Laurent Aglat, qui fait un doctorat en musique contemporaine, c’est un compositeur qui touche à plein de sphères de la musique électroacoustique et contemporaine. (Poupart, lui, est docteur ès lettres.) Il fait aussi du rock, du punk, il touche à tout. Pour élargir notre palette, on a fait plein de trucs ensemble: je l’ai amené au punk, et lui m’a amené à la musique contemporaine." Leçons d’absence rassemble les compositeurs Benoît Côté, Jimmie Leblanc et Mathieu Marcoux, ainsi que les auteurs Willie Gagnon et Jean-Sébastien Trudel. Si Côté a décidé de faire de la musique à partir d’un texte du poète portugais Fernando Pessoa, Aglat a élaboré son projet avec Cris retenus, un texte de Jean-François Poupart et de Kim Doré (poète, elle est également la compagne de ce dernier). "C’est une partition de 75 pages, jouée à la note: aucune improvisation. Le texte est placé à la note près. Je crois que c’est la chose la plus travaillée que j’aie pu faire dans ma vie." Avec cette création, Poupart s’est éloigné de ses habitudes formelles et lexicales pour mieux servir l’œuvre, qui commandait un regard neuf, une nouvelle manière d’aborder la poésie. "C’est très différent de ce que je fais habituellement, et c’est la musique qui m’a amené là. Par exemple, j’ai fait des répétitions pour que le spectateur ait quelque chose à quoi se rattacher. Même moi, formé par la musique punk-rock, j’avais besoin de repères." Poupart a également signé des chansons pour des projets comme Mix-Mania et Phénoménia, ainsi que pour la chanteuse Gabrielle Des Trois Maisons. Avec ces entreprises commerciales, les impératifs n’étaient évidemment pas les mêmes: "Une chanson pop est supervisée par des producteurs, tu es un simple employé. Tu fabriques un produit que les gens doivent aimer, acheter. Avec Leçons d’absence, le travail est uniquement artistique."
"Ces artisans se posent encore les vraies questions, c’est-à-dire celles à propos du temps et de l’espace. Pas pour une suite des choses, pas pour un raccord, pas pour se retrouver dans un rythme connu. Ils se posent ces questions fondamentales (le temps, c’est plus Platon, et l’espace, plus Aristote), et ce n’est que ça comme concept." La pièce, dont l’action se situe dans le métro, comporte une trame narrative, un fil conducteur, et c’est la chanteuse Jenifer Aubry qui se charge ici de transmettre ce texte qui évoque une sorte de dédoublement de la personnalité, un récit de l’intérieur. "Évidemment, c’est un peu le pendant de l’expressionnisme américain, car ce n’est pas selon moi une pièce figée dans le temps. Ces artistes se sont rendu compte que le work in progress était quelque chose d’évident, comme l’expressionnisme abstrait: la tache sur le poêle n’est pas l’œuvre, mais bien un cheminement vers l’œuvre. La musique contemporaine, je la vois comme un cheminement vers l’œuvre, quoi qu’en pensent les théoriciens. La tour Eiffel, par exemple, elle n’est pas habillée: tu vois l’intérieur. Il s’agit donc de montrer l’intérieur des choses, c’est un travail vers autre chose."
Jean-François Poupart se sent privilégié de travailler avec des créateurs qui font constamment de la recherche et qui vont au bout de leurs idées, sans soucis extérieurs. "J’ai toujours admiré l’underground. Ce projet est valorisant, car c’est la pureté de l’art, et personne ne peut toucher à ça." Poupart se situe donc toujours dans l’underground: "Je ne veux pas en sortir, car la beauté de la création, à mon avis, c’est là que ça se passe. Dès qu’il y a des valeurs marchandes populo-populistes, des jeux de vedettariat, tu perds le véritable sens de la création."
Les 27 et 28 mai
À la Station C