Benoît Bouthillette : Traces de sang
Benoît Bouthillette offre un premier roman surprenant, mélange de polar sanglant et de critique sociale irrésistible, qui risque effectivement de laisser sa trace.
Dès les premières lignes de La trace de l’escargot, on remarque évidemment le style d’écriture parlé. Aucun dialogue (ou si peu) entre les principaux personnages. Tout passe par l’inspecteur Benjamin Sioui de la Sûreté du Québec, un protagoniste aussi peu conventionnel que le roman dont il fait partie. Peintre au talent naturel devenu archiviste, Sioui est promu inspecteur par le lieutenant détective Daniel de Fontenoy, dans l’espoir qu’il puisse aider la SQ à résoudre le premier d’une série de meurtres crapuleux, répliques sanglantes des œuvres du peintre britannique Francis Bacon. L’inspecteur, amérindien d’origine, accepte, mais à la condition de pouvoir travailler à sa façon et de n’avoir de comptes à rendre à personne, sauf au lieutenant détective DdF, qui lui fournit sa drogue.
D’entrée de jeu dans La trace de l’escargot, l’inspecteur Sioui est appelé sur la scène d’un nouveau meurtre aussi sordide que les deux précédents. Seulement, cette fois, la victime est la fille du Gouverneur général et le tueur, en plus d’expliquer son crime dans une lettre destinée à Sioui, est resté sur place. Selon toute vraisemblance, il s’agit de Pierre Marien, chef archiviste à la SQ et grand ami de Sioui. Ne sachant plus ce qu’il doit croire, puisque Marien est hospitalisé dans un état critique, ce dernier poursuit son enquête. Si son ami est effectivement le tueur qu’il cherche depuis dix ans, il doit à tout prix découvrir le motif de ses horribles mises en scène artistiques. Ses recherches sont tout d’abord ralenties par l’ingérence de la GRC, qui lui met des bâtons dans les roues pour éviter que le gouvernement ne soit éclaboussé par l’affaire. Puis, au détour d’un rave pimenté à l’ecstasy, il tombe sur un nouvel indice alarmant. Non seulement le tueur est-il toujours en liberté, mais ses menaces prennent une tournure douloureusement personnelle quand il identifie celle qui pourrait devenir sa prochaine cible: Laetitia, médecin-légiste de la SQ dont Sioui est fou amoureux. Dès cet instant, Sioui et son équipe n’ont plus une minute à perdre s’ils veulent déjouer à temps les plans machiavéliques du tueur.
L’intrigue imaginée par l’auteur montréalais, qui nous sert ici son premier roman, permet de découvrir un univers rarement visité dans le cadre d’un thriller: la culture électronique, qui a donné naissance au croisement entre l’art, la technologie et la musique, dans ce cas-ci la musique industrielle, gothique ou grunge. Ce faisant, l’auteur visiblement féru de cinéma, de littérature, de jeux de mots, et d’art, installe un climat qui sert très bien sa critique sociale grinçante: "Je n’aime pas les vieux, malgré ce que m’inculque ma double-culture. Il n’y a plus de transmission de la sagesse, le pacte est rompu, l’aîné ne donne plus l’exemple, il ne reste que des classes sociales où les vieux lèguent leurs richesses accumulées par voie testamentaire."
En plus d’être un polar touffu et essoufflant, La trace de l’escargot est un roman glauque et actuel aussi anticonformiste que Benjamin Sioui, personnage à la fois attachant – grâce à ses coups de gueule cyniques – et antipathique – à cause de son caractère antisocial un peu trop prévisible de la part d’un enquêteur de polar -, mais qu’on souhaite néanmoins ardemment retrouver dans une nouvelle enquête signée Benoît Bouthillette. Ce sera d’ailleurs le cas, puisque La trace de l’escargot est le premier d’une série mettant en vedette l’inspecteur Sioui.
La trace de l’escargot
de Benoît Bouthillette
Éd. JCL, coll. "Couche-tard"
2005, 364 p.