Chrystine Brouillet : Rouge passion
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Chrystine Brouillet : Rouge passion

Chrystine Brouillet lance avec Rouge Secret une nouvelle série de thrillers sous l’égide d’un nouveau héros. Après les enquêtes de Maud Graham, on suit maintenant celles de Frédéric  Fontaine.

Le rendez-vous avec l’auteure a été fixé dans le lobby du Château Laurier… On entre dans le petit café douillet du rez-de-chaussée, et à notre gauche, un piano joue seul, les notes s’enfonçant comme si un pianiste défunt y jouait ses plus grands airs. "Mmmm, un piano qui joue seul, ça donne des idées pour écrire, ça!" note la romancière stimulée par ce lieu comme elle les aime.

Son nouveau polar, Rouge Secret, probablement l’un de ses plus psychologiques, est un suspense qui introduit un nouveau protagoniste masculin avec Frédéric Fontaine. L’auteure a aussi choisi de situer la trame de son roman dans le Québec des années 70, une période de grands chamboulements sur le plan de la politique, de la criminalité et des arts. "Il y a plus de possibilités avec le personnage de Frédéric Fontaine. Avec Maud Graham, même si je la situe dans le présent, je lui donne beaucoup de pouvoir. Dans les faits réels, aujourd’hui, une femme de cet âge qui a un poste aussi important, c’est plutôt rare. Donc, Frédéric Fontaine fait des choses qu’aucune femme n’aurait le droit de faire dans les années 70."

On sent tout de suite pointer un autre thème crucial dans l’écriture de Chrystine Brouillet: la cause des femmes. "Rouge Secret est ancré dans les débuts du féminisme. Autant j’ai créé le personnage très noir de Bernard Nadeau, un jaloux psychopathe maladif, autant je trouve que Fontaine, malgré toute sa douleur, sa culpabilité liée au passé, c’est quand même un homme qui a de la compassion réelle pour les femmes."

LA CLOCHE DE VERRE

Le roman met en scène le personnage d’Irène Pouliot qui, dès son adolescence, se laisse prendre dans les filets d’un petit voyou manipulateur. Elle répétera la même rengaine devenue adulte et se laissera engouffrer au point de se faire coffrer par son mari possessif, très puissant homme d’affaires, qui pense qu’il peut tout acheter, l’amour comme la mort, et qui réussira à la faire payer pour un meurtre qu’elle n’a pas commis. "Un des éléments déclencheurs de cela, c’est d’avoir si souvent entendu des jeunes filles se vanter du fait que leur copain était jaloux, comme si c’était une preuve d’amour. J’ai pris comme ligne de travail la cloche de verre… Bernard Nadeau met Irène sous cloche, c’est vraiment un fou! Toutes les personnes jalouses ne sont pas pathologiques, mais il y en a!", note l’auteure de la saga historique Marie Laflamme et du thriller qui a été adapté au cinéma, Le Collectionneur.

"On trouve Irène naïve, mais en même temps, l’art est salvateur pour elle, on la voit se métamorphoser dans cette passion. C’est sa liberté et elle va faire n’importe quoi pour défendre sa liberté. Lui est jaloux de son art, de leur fille, de tout ce qui gravite autour d’Irène."

Chrystine Brouillet va très loin dans cette emprise et cette relation entre le bourreau et sa victime. "Je voulais montrer le danger de cela, de la naïveté et des secrets aussi, qui finissent toujours par se savoir."

Elle traite aussi de la vie des femmes incarcérées, traçant un rude portrait des prisons, humaines comme psychologiques. "J’ai pensé beaucoup à la phrase de Sartre "L’enfer, c’est les autres". En prison, t’es obligé de vivre 24 heures sur 24 avec du monde que tu n’as pas choisi, pendant des années. Je suis sûre que l’enfermement, c’est très difficile – le fait qu’on décide à ta place de quand tu vas manger, t’habiller, te coucher -, mais ce doit être tout aussi pénible de vivre avec des gens que tu n’as pas choisis."

Les consommations arrivant, Chrystine s’esclaffe, toujours aussi imaginative: "On a l’air de vieilles Anglaises qui dégustent leur thé de l’après-midi! Mais il nous manque la technique!" rigole la sympathique romancière.

Épicurienne jusqu’aux orteils, l’ex-animatrice de Qui dit vin? à Télé-Québec laissait beaucoup de place à la gastronomie dans ses précédents livres, ce qui jetait un peu de lumière dans des récits parfois sombres. Dans ce roman-ci, c’est la peinture qui sert d’exutoire et qui fait jaillir, telles des éclaboussures teintées, la lumière du texte. Celle qui se faisait trimballer de musée en musée par ses parents alors qu’elle était enfant a développé une relation très particulière avec l’art. "Pour moi, l’art, c’est à la fois extrêmement tonique et apaisant. Il y a une telle force qui se dégage de certaines peintures! C’est très sain. J’aime la vie des peintres, leur rapport souvent physique avec la matière, ses couleurs, avec la lumière; ils bougent dans la pièce pour garder le soleil… Alors qu’à l’écrit, tu dois donner vie à des personnages. C’est très intellectuel…"

"J’ai posé pour des peintres quand j’étais dans la vingtaine… C’était pas payant, mais j’aimais l’énergie qui s’en dégageait, se souvient-elle avec bonheur. Tu poses, tu fais un mouvement et c’est comme si tu étais belle de A à Z. Au lieu d’aller m’étendre sur le divan du psy, je trouvais ça apaisant, valorisant. Je m’en serais tellement voulu d’avoir refusé de poser pour Renoir alors qu’il était encore méconnu! Je me suis dit: "D’un coup qu’il y a le nouveau Renoir dans la salle!"", conclut-elle, pince-sans-rire.

Rouge Secret
De Chrystine Brouillet
Éd. Boréal, 503 p.