Frédéric Beigbeder : Lecture dans le coma
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Frédéric Beigbeder : Lecture dans le coma

Mauvaise nouvelle, Frédéric Beigbeder renoue avec ses vieilles obsessions dans une autofiction qui commence cependant à ressembler à de l’autoparodie.

À peine le livre entamé, désagréable prémonition que ce faux-vrai journal risque de tristement tourner en rond. Jusqu’à l’étourdissement, voire la nausée. Sentiment qui se confirmera tout au long de ce recueil de chroniques d’humeurs autobiographiques d’Oscar Dufresne, alter ego de Frédéric Beigbeder, rendant compte des tribulations d’un ancien publicitaire devenu auteur à succès.

Traînant son spleen ostentatoire de soirée mondaine en soirée mondaine, Dufresne y croise peoples de la télé et écrivains branchous, éclusant champagne et vodka, se retranchant dans les chiottes où il renifle de la coke ainsi que le cul de mannequins qu’il pelote au rythme de la médiocre bande son des discothèques minables qu’il fréquente de par le monde, y compris à Montréal. Yé!

Poursuivant dans la veine de l’autofiction que Beigbeder a largement contribué à populariser (99 Francs), L’Égoïste romantique montre plusieurs signes d’essoufflement du genre, ou à tout le moins, certaines de ses limites.

On discerne bien quelques perles çà et là, cependant enfouies dans le profond ennui que distille ce roman. Par exemple, ce commentaire à propos de la télésérie The Osbournes, mettant en vedette papa Ozzy: "Sur scène, pendant ses concerts, on était plutôt habitué à le voir décapiter une chauve-souris vivante avec ses dents. Il s’est calmé: à présent, sa seule violence, c’est la normalité."

Et même si on renoue – parfois agréablement, avouons-le – avec le pathétisme sentimental de L’amour dure trois ans, l’intérêt se raréfie aussi cruellement que l’oxygène au sommet de l’Everest, ne parvenant pas à faire oublier l’emmerde d’un roman qui agace plus qu’il n’excite notre penchant pour le voyeurisme, alignant avec une régularité accablante les lieux communs, les aphorismes creux et les jeux de mots vaseux qui valent amplement à la figure de style le célèbre qualificatif de fiente de l’esprit.

Profonde déception, alors qu’au même moment, la parution états-unienne de Windows on the World nous rappelle comment ce précédent roman, bien qu’inégal, témoignait d’une bénéfique bifurcation dans l’œuvre de l’auteur et d’une audace remarquable chez celui qui imaginait la tragique – et même lubrique! – fin des clients du resto du sommet d’une des tours du World Trade Center.

Une déception qu’avait prévue l’auteur, semble-t-il, puisque, à la sortie de L’Égoïste romantique, il signait dans les pages du magazine Lire, où il œuvre comme chroniqueur, une critique dévastatrice de son propre roman et de son personnage médiatique. Exercice qu’il exècre pourtant, si on en croit cet extrait du même roman: "Dire du mal de soi est encore plus prétentieux qu’en dire du bien. On espère être démenti ou, à défaut, désamorcer les critiques."

Qu’il n’y compte pas trop…

En fait, cette autocritique soulève plutôt une question: si même l’auteur constate publiquement la médiocrité de son roman, pourquoi l’avoir publié? Chose certaine, si l’objectif était ici de provoquer le dégoût chez ses lecteurs, ou encore de démontrer que l’on peut vendre n’importe quoi, à condition d’être célèbre, nous nous inclinons devant telle réussite. Juste avant d’écrire ces lignes, nous apprenions – toujours dans Lire – que 75 000 exemplaires avaient déjà trouvé preneur en France.

L’Égoïste romantique
de Frédéric Beigbeder
Éd. Grasset, 2005, 398 p.