Suzanne Marcil : Les saisons de Lulie
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Suzanne Marcil : Les saisons de Lulie

Ce n’est rien de Suzanne Marcil nous ouvre grand les portes du quotidien de Lulie, 10 ans, héroïne candide et acerbe du monde ordinaire.

Terreau plus que fertile pour l’écriture, l’enfance ne donne pas sa place pour provoquer des œuvres alertes et étonnantes: Ducharme, Trudel, Vézina, la liste est considérable. On met en voix l’irrévérence, les vérités les plus renversantes, on mise souvent gros sur un personnage haut comme trois pommes et, dans le meilleur des cas, on a raison de le faire. Ainsi, dans Ce n’est rien, troisième œuvre de fiction de Suzanne Marcil, on découvre Lulie, dernière d’une tribu de quatre ados chahuteurs ayant abandonné l’Est de la grande ville pour s’établir en un lieu brouillon, mal famé, de semi-campagne. Une décision du père qui commençait à étouffer dans la Métropole. Il n’en a maintenant que pour "son gros shack out in the boonies", chalet broche-à-foin piteusement converti en habitation quatre saisons. Un enthousiasme loin d’être partagé par Lulie qui, pour sa part, préfère "imaginer une jungle luxuriante dissimulant des antilopes et des lionnes tapies, prêtes à bondir pour les manger toutes crues". Le paradis, quoi…

Comme le père, le frère est éboueur, la plus vieille des sœurs, aspirante coiffeuse, l’autre, effacée, et la mère, fatiguée: "Fermez-la, je suis fatiguée de vous entendre crier! Ramassez-vous! J’suis fatiguée de voir vos traîneries! Éteignez donc! Je suis… FA-TI-GUÉE!" Lulie, elle, comme l’ensemble des marmots amourachés des bêtes, veut être vétérinaire. À ses côtés, il y a Chien, le sage fort en verve, sorte de Socrate à quatre pattes. Sans lui, la vie au sein de ce clan de figurants soupe au lait et peu démonstratifs friserait l’insupportable: il a promis de ne pas l’abandonner tant qu’elle vivrait dans cette maison. Ami bien réel, Chien pense et parle (il est bilingue), et joue les éclaireurs de conscience: "Le Chien m’a expliqué qu’avoir du tact, c’est un peu rouler la vérité dans le sucre roux comme quand notre mère mélangeait du miel à l’huile de foie de morue, sinon ça n’aurait pas passé."

Avec son humour pimenté, ses réflexions aussi tendres que cruelles, la voix de Lulie dépeint un univers où, entre les lignes, on entend à la fois la rumeur de la petite misère, de la solitude, de la douleur secrète, et celle de la joie pure, celle du rire et de la magie espiègle. Composé de brefs chapitres comme autant de tableaux, Ce n’est rien possède une structure semblable à celle d’un mobile, sa charpente d’ensemble important moins que la couleur et la forme de ses unités en mouvement. Car mis à part l’évolution des quelques historiettes secondaires ponctuant le roman, on ne pourrait parler d’une trame au sens strict du terme.

De Suzanne Marcil, on connaissait déjà Les Maux (1998) et Vestiges (1999), récits publiés aux Heures Bleues dont le ton juste et poétique promettait une belle récidive. Récit aigre-doux en pièces détachées, Ce n’est rien manque quelque peu de portée, d’audace, et ne semble exploiter que du bout des doigts son potentiel narratif et sa profondeur. N’en demeure pas moins une œuvre fraîche et calibrée.

Ce n’est rien
de Suzanne Marcil
Éd. L’instant même, 2005, 178 p.