Louise Desjardins : Passé composé
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Louise Desjardins : Passé composé

Avec So Long, Louise Desjardins signe un troisième roman à propos de la difficile conciliation entre la liberté et le désir, conjuguée au féminin.

Trouver l’amour est-il encore possible lorsqu’on est une femme seule de 55 ans et que l’on ne veut pas sacrifier sa liberté? À l’âge où nous ignorons parfois si l’homme qui nous cède sa place dans l’autobus le fait pour nous séduire ou pour respecter notre vieillesse, rien n’est simple. Et encore moins lorsque nous escorte un passé chargé de relations insatisfaisantes, d’ex-époux qui nous ont fait des enfants avant de nous décevoir de façon irréversible.

Kathie MacLoad hésite entre continuer à obéir à son désir des hommes et succomber au pessimisme de ses meilleures amies, qui ont abandonné tout espoir de rencontrer l’âme sœur. Le jour de son anniversaire, alors que ses deux filles lui ont préparé une "fête de familles reconstituées", elle se demande si elle ira rejoindre à l’aéroport l’homme avec lequel elle entretient une correspondance électronique depuis quelques années et qui lui a donné un premier rendez-vous le soir même. Car cette journée, au milieu de laquelle a lieu cette fête pénible qu’elle reçoit comme une "bombe de passé", l’obligeant à revoir ses "vies superposées", Kathie la consacre à faire le bilan: deux mariages, deux divorces, deux enfants qui lui ont reproché d’avoir abandonné leurs pères, une profession d’enseignante à laquelle elle a mis un terme le jour où, exaspérée, elle a fini par donner une taloche à un élève. En arrière-fond de ces différents échecs, relatés avec une piquante autodérision, figure une enfance difficile dans un petit village abitibien où le père, mélomane et don juan local, s’obstinait à vouloir demeurer après la fermeture de la mine d’or, au grand désespoir d’une mère qui en a graduellement perdu la raison.

Renouant avec le genre romanesque après l’écriture d’une biographie de Pauline Julien (Pauline Julien: La vie à mort) et d’un recueil de nouvelles (Cœurs braisés), Louise Desjardins livre peut-être ici son meilleur roman, qui gravite autour de cette singulière figure de femme dans la cinquantaine (La Love avait pour héroïne une adolescente et Darling, une femme dans la trentaine). Malgré une intrigue à première vue banale, So Long énonce avec une sensibilité pertinente les grandes questions existentielles liées à l’amour et à son incessante quête: "Comment retrouver avec un homme cet élan qui ne se dément pas, qui ne s’étiole pas avec les ans? Qu’est-ce qui nous tue dans l’amour?"

Sur le plan formel, Desjardins fait preuve d’une exceptionnelle maîtrise du récit. Étalée sur une seule journée, l’action adopte une structure par stations (parfois au sens propre, quand il s’agit des stations du métro), suivant une sorte de chemin de croix urbain qui, avant et après la fête célébrée dans son appartement, conduit l’héroïne chez le coiffeur, chez la manucure, dans une boutique de lingerie, au café… À cette fresque montréalaise, décrivant avec une touche d’humour la tendance à la "plateauïsation" de la ville, correspond le retour sur une Abitibi perdue, mythique et qui était le royaume du père, ainsi que Kathie l’exprime à un ex-mari qu’elle revoit durant cette même journée: "J’étais sûre d’avoir tout exorcisé, mais je me rends compte que je ne peux pas vous effacer, comme je ne peux effacer ni mon père ni ma mère même s’ils sont morts et enterrés. On se leurre quand on pense qu’on n’a aucun lien, aucune affinité avec ses proches, ses parents, ses frères, ses sœurs, son sang." Comme si renouer avec un présent prometteur qui conjugue liberté et désir ne pouvait se faire qu’en assumant les figures essentielles du passé.

So Long
de Louise Desjardins
Éd. du Boréal, 2005, 160 p.