William Boyd : Fuite en sol inconnu
Livres

William Boyd : Fuite en sol inconnu

William Boyd propose un quatrième recueil de nouvelles qui contient autant de lieux, d’époques et de styles que de questions, de personnages singuliers et de perles stylistiques.

Rien ne relie les neuf nouvelles de La Femme sur la plage avec un chien, si ce n’est la qualité de la langue, le rythme et cette mystérieuse manière qu’a William Boyd d’envoûter rapidement le lecteur qui le suit dans chacun des microclimats qu’il sait installer et explorer. Et dans la plupart des nouvelles, plane le malentendu amoureux ou la difficulté concrète de s’abandonner, souvent à cause du tissage serré des liens officiels, ou encore de l’impossible réciprocité du sentiment.

Tout commence avec la nouvelle-titre, où un imprimeur en voyage d’affaires bifurque de son itinéraire pour suivre l’appel des vagues et leur réconfortant claquement. Il s’arrête dans un hôtel de Cape Cod, trop cher pour lui, se commande une bonne bouteille de whisky, toujours trop chère pour lui (ou plutôt pour sa femme, si elle savait) et attend inconsciemment que la vie lui souffle quelque chose. Le bon vent prend les visages d’Anna et de son chien Euclide. On entre alors dans la fulgurance d’une intimité qui se crée, contre vents et mariés (!), et on voit dans les simples gestes et les libertés que les personnages se donnent le bouleversement d’une vie qu’ils n’avaient peut-être pas choisie autant qu’ils le croyaient. Avec Fascination, on a affaire à un narrateur qui s’inscrit directement dans la catégorie des "beautiful losers". Il n’a écrit qu’un roman et il traîne, errant dans ses pensées et ses souvenirs. Journaliste pigiste, il part faire un reportage sportif (davantage pour plaire à sa femme que pour se payer une nouvelle tondeuse). Mais ce qui l’intéresse, au fond, c’est la poésie.

Avec Le Problème esprit/corps, l’auteur nous fait rire en nous entraînant dans le monde des culturistes, et avec Le Pigeon, il rend hommage à Anton Tchekhov (comme dans la nouvelle-titre d’ailleurs), mettant en lumière un gentilhomme russe du 19e siècle. D’autres personnages savoureux, un metteur en scène, une chef décoratrice, un ancien combattant amnésique et un homme de lettres, parsèment le recueil. Mais la meilleure nouvelle, tant au niveau de la forme que par son côté enlevant, s’intitule Incandescence. Tout Boyd s’y trouve. Une société bien cernée, des mondes parallèles bien sentis, une intrigue policière captivante (sans flic et sans condamné) et surtout, une manière brillante d’observer les comportements, les convenances, la jalousie, l’envie, les désirs, les regrets ou l’absence de regrets, et les différentes formes de fuite.

Boyd, qui est né à Accra en 1952 et qui a gagné quelques prix avec ses romans, dont celui des lectrices d’Elle France, offre encore une fois un livre impeccable, et nous prouve que la nouvelle, non seulement n’est pas un genre issu d’un moule, mais qu’elle peut être au moins aussi intéressante que le roman, genre dominant les palmarès depuis plusieurs années.

La Femme sur la plage avec un chien
de William Boyd
Éd. du Seuil, 2005, 204 p.