Jean-Christophe Rufin : Soleil trompeur
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Jean-Christophe Rufin : Soleil trompeur

L’infatigable Jean-Christophe Rufin nous donne, tout juste un an après la fable futuriste Globalia, un septième roman plein de l’entêté soleil brésilien. Une fois encore, le voilà exactement où on ne l’attendait pas.

L’an dernier, l’écrivain et médecin sans frontières Jean-Christophe Rufin délaissait un temps les fresques historiques pour nous propulser dans un futur énigmatique et inquiétant. Globalia montrait en effet les aboutissements possibles de nos actuelles dérives planétaires. L’auteur de L’Abyssin et Sauver Ispahan signe maintenant un roman court (à peine 200 pages), lui qui nous a plutôt habitués aux briques. Plus étonnant, le voici sur un territoire déjà foulé avec Rouge Brésil (prix Goncourt 2001) mais au temps présent et dans un registre résolument nouveau. Si La Salamandre s’articule aussi autour du choc des civilisations – un leitmotiv chez Rufin -, il s’agit d’un choc vécu strictement dans l’intime, celui d’une femme BCBG jusqu’à la caricature mais qu’un voyage en Amérique du Sud va pousser à un spectaculaire volte-face.

Comme toujours, c’est l’immense talent du conteur qui nous happe d’abord, flagrant dans ce registre comme dans les autres. Après un "avertissement", sorte d’introduction nous apprenant que l’histoire initiale lui vient d’un ami, consul de France à Recife, l’auteur nous présente Catherine, une Parisienne de 46 ans à la vie réglée au quart de tour, apparemment imperméable à tout bouleversement. Bien qu’ayant horreur de voyager, Catherine acquiesce à la proposition de son amie Aude, installée à Recife, d’aller passer quelques jours avec elle. La mise en situation est simple et redoutablement efficace, quelques indices laissant planer sur une jolie carte postale tous les parfums d’un drame encore imprécis.

Catherine se laisse peu à peu gagner par les langueurs océanes, par un soleil quasi indécent. Surtout, elle tombe amoureuse de Gil, un jeune et beau gigolo qui va jouer le premier rôle dans la profonde métamorphose qui s’amorce. D’abord heureux de voir cette femme froide et coincée lentement s’abandonner, s’affranchir d’une vie pleine de sèches manies, on s’inquiète bientôt de ses visions manichéennes ("Il lui avait fallu traverser des continents de bêtise bourgeoise pour parvenir enfin à cette très simple paix", pense-t-elle), puis on se rend à l’évidence: l’histoire de Catherine est celle d’une descente aux enfers, d’un amour larvé de violence.

Plus sa relation avec Gil dérive vers l’humiliation et la domination, pourtant, plus elle fréquente la petite faune mafieuse et taciturne qui gravite autour de son amant, plus Catherine se sent en corps à corps avec la vie, le monde et ses mouvements contraires: "Elle semblait revenue à cette première et lointaine époque de la vie où l’on peut encore rêver d’entrer tout armé dans la société, d’arracher au monde ce qu’il vous doit, de lui faire payer ses injures et toute son imperfection."

Cette mue psychologique est aussi l’occasion pour Jean-Christophe Rufin de décrire le Brésil contemporain, dont les couleurs contrastent si fort avec les habitudes et le rythme parisiens. Par moments, se mêlent à ces descriptions des images enjolivées à l’excès (un ciel étoilé a-t-il vraiment besoin de se traduire par "une éruption d’étoiles démangeait l’œil comme une varicelle céleste"?), mais ne boudons pas notre plaisir… La Salamandre est de ces romans dont on ne fait qu’une bouchée, fasciné par une folie longtemps tournée vers l’intérieur et dont les soudaines manifestations extérieures, une fois un peu d’huile jetée sur le feu, éclatent comme seul peut éclater un dépôt de feux d’artifice.

La Salamandre
de Jean-Christophe Rufin
Éd. Gallimard
2005, 200 p.