The Girl from Ipanema : Sous le soleil exactement
The Girl from Ipanema, de Hermann et Yves H., nous entraîne, un air connu en tête, entre le monde des projecteurs et celui du crime organisé.
Hollywood, théâtre de tous les possibles, de la richesse, de la célébrité, de la drogue, du végétarisme, de la nouvelle cuisine, de la pauvreté, de la violence, du cinéma glamour, des diètes drastiques, des chirurgies inquiétantes, mais également des services d’accompagnement et de la racaille qui tourne autour. Hollywood, c’est aussi Mulholland Drive, cette vallée appelée "le grand plongeoir", "le bout du monde", où l’on a une vue superbe dont plusieurs rêvent, mais où personne n’espère finir du mauvais côté de la route. D’abord il y a cet Italien qui se fait appeler Jazz et qui roule en Ferrari, alors que, au fond, il n’est qu’un acteur de seconde zone qui ne devrait pas avoir les moyens de se payer ce genre d’engin. Ensuite, deux jeunes femmes, Dorothy et Jennifer, 21 et 18 ans, dont la plus jeune, bien sûr, rêve de devenir actrice. Pour ça, elle ferait n’importe quoi. Et la ligne entre le bien et le mal, surtout dans ce coin de la Californie, est tout ce qu’il y a de plus trouble. D’ailleurs, tous les personnages de The Girl from Ipanema, cette bande dessinée signée Hermann et Yves H., naviguent en eaux troubles. Une fois passées les silencieuses éoliennes illustrées dès les premières pages, c’est dans un univers sombre digne des grands romans noirs américains que nous pénétrons. Le chaos existait avant cette histoire, il continuera de régner pendant et… après.
À la cinquième planche, le premier meurtre a lieu. On a tué Dorothy, qui devait passer la soirée avec Jennifer chez le parrain de la mafia locale. Maintenant, c’est Jennifer qui, aux yeux des policiers et des membres du crime organisé, devient le seul témoin de l’histoire. Tous la cherchent. Et à Los Angeles, les institutions douteuses et légales marchent souvent ensemble. Surtout si un individu peut compromettre des réseaux efficaces, des transactions payantes, des réputations artistiques, des carrières politiques, ou tout ça à la fois. Entrent alors en jeu les policiers Chavez et Jennings. Le premier est un chicano tenace au passé obscur mais qui possède un bon fond et un souci réel de la vérité; le second est un dur, à première vue une crapule, qui s’est pas mal enlisé dans les méandres du métier. Qui sert qui et pourquoi, voilà la question.
Que deux Européens décident de situer l’action d’une bande dessinée dans un univers hautement américain a de quoi effrayer. Pourtant, le scénariste Yves H. et son père, le dessinateur Hermann, ont relevé le défi de manière magistrale: on se croirait vraiment dans un thriller de James Ellroy. Troisième collaboration, après Liens de sang et Manhattan Beach 1957, où les rôles sont clairement définis. Le père, qui a aussi une solide réputation comme narrateur, ne fait ici que dessiner, et le fils, encouragé par son paternel à se concentrer sur la scénarisation, tisse un monde romanesque solide, économe et intelligent. Hermann a publié sa première bande dessinée, une aventure de Bernard Prince d’après un scénario de Greg, en 1966. Un an plus tard, Yves H. naissait à Bruxelles et, en 1995, il publie Le Secret des Hommes-Chiens. Le tandem est fort: le scénario est bien ficelé, et les illustrations belles et attirantes. Alternant le côté obscur de la ville avec celui, ensoleillé, où se passent des milliers de journées douces et tranquilles, The Girl from Ipanema montre du doigt certaines réalités tout en nous séduisant, un air d’Antonio Carlos Jobim en tête, avec ses superbes paysages et sa richesse qui fascine autant qu’elle nous répugne.
The Girl from Ipanema
de Hermann et Yves H.
Éd. Le Lombard, 2005, 54 p.