Bérurier Noir : Toujours vivant
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Bérurier Noir : Toujours vivant

Bérurier Noir s’est reformé en 2003 pour une tournée qui s’est arrêtée au Festival d’été de Québec en juillet 2004. Ta rage n’est pas perdue comprend plusieurs images captées par le photographe Roland Cros lors de cet événement, qui a contribué à rallumer la flamme du groupe français. On en parle avec Masto, saxophoniste de Béru.

Êtes-vous contents du livre

Ta rage n’est pas perdue, paru aux éditions Folklore de la zone mondiale?

"Oui, ça nous motive beaucoup, d’autant plus que la création du label est un rêve qu’on a toujours voulu réaliser, mais à l’époque, on n’avait pas assez les pieds sur terre. Aujourd’hui, on n’a pas encore les pieds sur terre, mais on a rencontré quelqu’un qui les a. On a créé Folklore de la zone mondiale pour défendre notre indépendance, puis en faire profiter des groupes qu’on aime."

Êtes-vous surpris de l’intérêt d’une nouvelle génération de fans qui se procurent vos albums réédités alors qu’ils n’étaient même pas nés entre 1983 et 1989?

"Oui, mais si je puis me permettre, le mot "fans" nous met mal à l’aise parce que c’est pas vraiment cette relation-là qu’on espère le plus profondément. On peut se parler simplement. Par exemple, lors des concerts, on supprime les barrières qui séparent le public de la scène dans cette idée-là. N’importe qui peut monter sur scène, n’importe quand. De la même manière qu’on peut descendre avec les gens. On essaye au maximum d’éviter ces barrières dans les deux sens du terme."

Mais êtes-vous contents de l’intérêt des nouveaux auditeurs?

"Oui! Quand on a joué au Québec, une fille est venue me voir et m’a dit: "Je suis née quand vous êtes morts." Ça m’a positivement traumatisé. Elle déclarait un décalage de génération et, en même temps, elle déclarait une sorte d’union des générations. Ça m’a super touché."

Parce que ça montre que votre musique n’a pas vieilli?

"Voilà! La musique et les textes aussi apparemment, ce qui n’est pas un constat super réjouissant. La situation sur certains points n’a vraiment pas évolué, et tu sais, comme on dit: celui qui n’avance pas les orteils recule les talons!"

Quel effet ça fait de constater que la société n’a pas évolué?

"On est un peu sidérés de tous les extrémismes, du comportement des gens, que ce soit au sujet du statut des femmes ou de l’économie mondiale. Il n’y a aucune prise de conscience – en fait, tout le monde sait très bien tout, mais tout le monde est au service du court terme. C’est-à-dire qu’on veut obtenir des résultats vite, peu importe le massacre, peu importent les conséquences."

Qui a eu l’idée de produire Ta rage n’est pas perdue?

"C’est une démarche de Roland Cros, qui nous suit depuis 1986. Il est venu avec nous l’été dernier et après les concerts, il s’est rendu compte qu’il avait beaucoup de photos et qu’elles racontaient des choses sur nous."

Quel souvenir gardez-vous du concert de Québec, qui s’est tenu dans la boue? Vous attendiez-vous à voir 50 000 personnes?

"Pas du tout. On ne s’attendait pas non plus à être bénis par le ciel. La boue a transformé cette fiesta en quelque chose d’un peu shamanique. Il s’est passé quelque chose d’incroyable pour nous, et je crois aussi pour le public. C’était beau, c’était fort et très physique. Au-delà du nombre de spectateurs, on a été touchés par ce concert, car on n’avait jamais connu ça."

Aimez-vous les photos?

"Les photos qui nous touchent le plus sont celles du public. Ce n’était pas prémédité, mais on va mettre le concert dans son intégralité et toutes les images qu’on a pu récupérer sur un DVD qui sortira à l’automne. C’est assez intéressant de voir nos photos car c’est un peu sauvage, un peu guerrier. L’énergie, la fragilité et la sensibilité apparaissent simultanément sur une photo. Celles de Roland traduisent bien notre mouvement et notre fragilité, et je pense que c’est ça, la qualité, l’âme d’une photo. Ça permet d’avoir une vision plus intime, plus personnelle des gens qu’on ne voit pas dans le mouvement."

Que pensez-vous du texte de Virginie Despentes?

"C’est un peu con de dire ça, mais on s’y attendait. On était un peu frustrés de l’article qu’elle avait écrit pour Rock & Folk et pour lequel elle avait passé une semaine avec nous. C’était une vraie rencontre, on avait beaucoup discuté et l’article ne montrait pas tout ça. Quand le projet d’album est arrivé, c’était l’occasion pour elle de dire ce qu’elle voulait, comme elle le sentait. Virginie a sur Béru un regard pertinent et juste. Il n’est pas flatteur tout le temps, mais il est sincère. Elle n’est pas là pour nous plaire."

Avec le recul, quel regard posez-vous sur Bérurier Noir? Croyez-vous qu’il soit possible de changer les choses?

"Moi, je crois au chemin. C’est ce qui compte. Je ne crois pas qu’on peut cheminer en fonction des buts et des résultats. Il faut viser et espérer, et ça, on le fait depuis toujours. On aurait pu tout faire différemment, mais je crois que notre force et notre faiblesse, c’est notre spontanéité. On n’est pas calculateurs, on vit les choses avec cœur."

À quoi peut-on s’attendre du nouvel album?

"On a déjà écrit plus de 20 morceaux et si tout va bien, on va l’enregistrer en octobre. Je ne sais pas à quoi on peut s’attendre car je n’ai pas encore assez de recul par rapport aux chansons. On a tous évolué, alors ce sera pas du Béru comme avant; en même temps, on ne veut pas se laisser enfermer par ce que peuvent espérer les uns ou les autres. On va continuer d’être sincères avec nous-mêmes."

Ta rage n’est pas perdue
Photos de Roland Cros et texte de Virginie Despentes
Éd. Folklore de la zone mondiale et Vade Retro
2005, 160 p.