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Chicken Street : Manhattan Beach – Kaboul

Dans Chicken Street, Amanda Sthers raconte l’histoire tragicomique de deux juifs et d’une jeune femme enceinte d’un Américain avec Kaboul et Los Angeles en toile de fond.

Amanda Sthers

a le genre de C.V. qui plaît plus à la presse people qu’aux critiques littéraires. Jeune scénariste à qui les Français doivent leur première saison de Caméra café, parolière de Patrick Bruel (dont elle est d’ailleurs l’épouse), elle publiait chez Grasset en 2004 Ma place sur la photo, un premier ouvrage largement autobiographique tièdement reçu par la presse. Un an plus tard, Amanda Sthers fait taire les mauvaises langues avec Chicken Street, son deuxième roman, une tragicomédie sensible et mélancolique proche de l’esprit de Woody Allen qui met en scène les destins croisés d’Alfred et Simon, les deux seuls juifs de Kaboul, d’une jeune Afghane et d’un Américain bien-pensant.

Alfred, un Roumain, unique membre de sa famille à ne pas avoir péri dans les camps, est écrivain public. Simon, artisan déchu, ancien chausseur à la cour d’Iran, séparé de la sulfureuse Farah, son ex-femme à laquelle il voue encore un amour torturé, a adopté la guise d’un petit cordonnier sans éclat. Leur vie, sage et rangée, ponctuée du shabbat hebdomadaire, est soudainement bouleversée par l’apparition de Naéma, jeune Afghane enceinte de Peter, journaliste américain reparti à Los Angeles. Celle-ci veut écrire à son premier (et dernier) amant pour lui révéler sa paternité. Le hic: Peter est marié à Jenny, femme modèle dont les angoisses ne détonneraient pas dans un épisode de Desperate Housewives. C’est elle qui intercepte la lettre de la jeune Afghane. C’est le début de la fin pour tous. Personne ne sortira indemne de cette descente aux enfers engendrée dans le "terrain vague" qu’est l’Afghanistan post-9/11.

Amanda Sthers tue le suspense dès le premier chapitre. Elle nous prévient: Alfred et Naéma seront lapidés. On comprend vite que l’essentiel ici est le déroulement, et non l’issue du drame. Son livre invite le lecteur, à l’instar de Simon et Peter, dans les rangs des témoins impuissants de l’implacable dureté du monde. Jamais mélo, l’écriture de la jeune Parisienne oscille entre humour pince-sans-rire ("Une synagogue c’est dix hommes juifs […] on n’imagine pas le nombre de cafés de Brooklyn qui sont des synagogues qui s’ignorent") et froideur chirurgicale ("Il est encore des endroits où avorter sa sœur morte avec un couteau de boucher inspire le respect."). Avec Chicken Street, Amanda Sthers soulève la question qu’imposent tous les intégrismes: "Comment peut-on mourir d’avoir été vivante?"

Fille de psychanalyste, Sthers a hérité d’une compréhension des êtres remarquable. Elle fait surtout preuve d’une authentique compassion pour les victimes anonymes des grands conflits, nous obligeant, le temps d’une lecture, à ne pas oublier que là-bas, la vie continue. La mort aussi.

Chicken Street
d’Amanda Sthers
Éd. Grasset, 2005, 217 p.