Philippe Delerm : Nourritures terrestres
Une aventure vénitienne et un recueil à goûter plus qu’à lire: deux nouveaux délices de Philippe Delerm.
Delerm le gourmand nous revient avec un bref roman, La Bulle de Tiepolo et Dickens, barbe à papa, une série délicieusement décousue de vignettes croquées sur le vif. L’auteur de La première gorgée de bière nous livre ici deux plaquettes typiquement "delermiennes" parsemées d’une multitude de petits riens: tranches de vie et souvenirs délectables.
Dans La Bulle de Tiepolo, Ornella Malese, jeune professeure surprise par le succès retentissant de Granité Café, court livre pourtant si discret, se retrouve à Paris au terme d’une tournée promotionnelle. Flânant dans une brocante, elle tombe sur un tableau à la signature familière qui pourrait bien détenir la clef d’un secret de famille. Elle tombe aussi sur Antoine Stalin, veuf, critique d’art. Suit l’histoire de leur rencontre dont la charge érotique se dissout vite alors qu’ils parcourent ensemble, sur les traces de deux peintres, la Sérénissime.
On reconnaît bien vite Delerm sous les traits de la charmante Vénitienne. Son best-seller, une juxtaposition de saynètes, "plaisirs minuscules" inspirés du quotidien, rappelle ses meilleurs titres: La Sieste assassinée ou Paris l’instant. Il se joue aussi un peu des critiques alors que ceux-ci saluent chez Malese "l’écho logique rencontré par une expérience qui constitue à ré-enchanter le réel". Il nous livre enfin certains de ses doutes: son succès né du bouche à oreille, n’a-t-il rien de suspect? Mais qu’écrire d’autre que "le monde selon soi"?
Ici, Delerm rappelle à ceux qui n’auraient pas lu Sundborn ou les jours des lunes qu’il sait aussi écrire de bons romans, sans sacrifier son don si particulier de donner vie, en quelques lignes, à une image, une pensée.
Delerm nous gâte. Avec Dickens, barbe à papa, il nous propose son propre Granité Café tout aussi délectable que celui, imaginaire, d’Ornella. Il fait alterner, avec une fébrilité goulue, plats et lectures. Voici un éloge de la purée ("le mot lui-même évoque un autre espace, une autre densité") suivi d’un passage chez une logeuse dickensienne, d’un goûter d’enfance, d’une visite du couple Tintin-Haddock, puis une pause, le temps d’une menthe à l’eau, avant d’attaquer les chocolats Suchard, le fast-food et le vin chaud. Une trentaine de menus plaisirs que l’on dévore et qui nous nourrissent puisque, au fond, on n’a rien trouvé de mieux encore que de goûter aux nourritures terrestres.
Delerm devrait faire de la publicité ou écrire des brochures touristiques. Le bougre nous donne des envies: celle de se taper Botton (un Britannique, comme son nom ne l’indique pas) dans le texte puis en traduction, de renouer avec cette édition de La Recherche lourde comme un sac de pommes de terre ("deux mille quatre cent une pages. Presque deux kilos") pour laquelle, comme lui, nous avions craqué à sa parution, celle surtout de faire une razzia en librairie, histoire de s’offrir quelques heures supplémentaires du côté de chez Delerm…quitte à risquer l’indigestion.
La Bulle de Tiepolo
de Philippe Delerm
Éd. Gallimard, 2005, 119 p.
Dickens, barbe à papa
de Philippe Delerm
Éd. Gallimard, 2005, 105 p.