Gabriella Baracchi : Mémoire vive
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Gabriella Baracchi : Mémoire vive

Gabriella Baracchi revisite son enfance dans La Robe de bure, récit sobre et haletant où la misère se mélange à la solitude et aux odeurs de polenta.

Parfois, lorsqu’ils se concentrent sur l’enfance, les récits de mémoire peuvent verser dans la complaisance et distiller une nostalgie impudique doublée de jérémiades sur les voluptés de l’innocence et le paradis perdu. Si, à l’enfance en question, se jumelle une pauvreté extrême, le pathos du récit risque d’être aggravé par tous les violons du monde. Or, La Robe de bure de Gabriella Baracchi a le mérite non négligeable d’éviter les écueils du genre. D’une grande économie de moyens, ce premier récit de l’auteure traduit en français (travail fort honnête de Danièle Valin) recompose les jeunes années de cette dernière en un moyen-métrage intérieur sur l’apprentissage de la douleur et de la liberté.

Région de Côme, Nord de l’Italie, dans les années de l’immédiat après-guerre. Antonio, Irma et Gabriella perdent leur mère, emportée par la maladie une veille de Noël. Gabriella, trop chétive pour suivre sa sœur devenue domestique à Milan, sera condamnée à l’errance auprès de son père, un homme à tout faire arpentant la région, toujours en quête d’un contrat quelconque. Finie l’école, finie l’église: "Lella" ne cesse de se "rendre utile" pendant que son père fait les foins ou déboise un flanc de montagne. Elle nettoie le Balaam, la grange abandonnée qui leur sert de gîte pour un moment, va chercher l’eau au puits et des châtaignes dans la forêt si ce n’est pas des racines, la faim donnant mal au ventre. L’arrivée de Maria, sa "nouvelle mère", obscurcit le tableau: "Si tu n’étais pas là, on paierait mieux ton père." Excédée par les silences et l’indifférence bourrue de son père, Gabriella prend la clé des champs et se fait recueillir par les sœurs. Elle a 12 ans.

Au collège, malgré l’amitié de sœur Mathilde, son état de sujétion prend une autre forme: elle se sent "la propriété du collège". Durant les quatre années suivantes, le déracinement persiste: elle passe d’institution en institution. Même si elle s’habitue tant bien que mal à sa nouvelle vie, le passé ne cesse de ressurgir; quand ce ne sont pas les rares visites de son père provoquant en elle une peine confuse, ce sont les souvenirs des rares moments de bonheur s’éclairant tout à coup dans sa poitrine: "Le soir, j’aimais m’asseoir dans le pré à côté de la ferme. […] la nuit venait tout doucement et les lucioles se mettaient à voler tout autour." Les années de collège se terminent et Gabriella, 17 ans, est reçue avec les meilleures notes. Le jour du départ, alors qu’elle se rend à la gare attendre le convoi qui la conduira au lycée, vers un autre pan de sa vie, elle fera une rencontre qui, bien que brève, la fera rater son train.

Récit d’initiation construit autour d’une intense quête d’amour et d’une enfance ne tenant qu’à un fil, La Robe de bure fait état, entre autres choses, de l’habileté narrative de Gabriella Baracchi. Sans rechercher l’effet à tout prix, et avec un ton distancié entretenu avec aisance, cette dernière nous offre une courtepointe dense et délicate, cousue avec grand soin.

La Robe de bure
de Gabriella Baracchi
Traduit de l’italien par Danièle Valin
Éd. Les Allusifs, 2005, 70 p.