James Lee Burke : Blue Bayou
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James Lee Burke : Blue Bayou

Il fait 38 ºC à l’ombre, ça sent les épices cajuns et les marais autour attirent des moustiques qui, par cette chaleur, viennent à bout des gens les plus calmes. Nous sommes à la Nouvelle-Orléans et d’entrée de jeu, un détective privé balance du deuxième étage un homme qui survit tout juste grâce aux branches hostiles de la végétation luxuriante locale. Le ton est donné. Nous entrons dans l’univers marécageux de l’atypique enquêteur Dave Robicheaux, personnage célèbre d’un auteur de polar très littéraire, James Lee Burke.

Robicheaux fréquente les alcooliques anonymes et son passé d’ivrogne regorge d’anecdotes complètement évacuées de ses propres souvenirs. Or, c’est précisément de mémoire dont il est question ici, car l’enquête qu’il mène en cache une autre, celle où il tente de remonter la piste des assassins de sa mère, disparue alors qu’il n’était qu’un enfant. C’est que des rumeurs circulent, disant que sa mère n’était pas qu’une serveuse dans des endroits louches, mais aussi une prostituée. On raconte aussi que ce serait des policiers qui l’auraient éliminée. Alors, le passé tisse une mosaïque complexe avec le présent, cousant des liens entre les hautes sphères de la justice de l’État de la Louisiane d’aujourd’hui et la racaille de l’époque. Les histoires personnelles et intimes croisent aussi les différentes enquêtes, et font remonter à la surface les écarts de conduite de Bootsie, la femme de Dave, qui a eu le malheur d’entretenir des liaisons nébuleuses avec des flics corrompus, qui mènent actuellement le bal dans cette paroisse où les gens tombent comme des mouches.

Robicheaux doit protéger les siens de l’appareil judiciaire autant que d’un système politique qui n’a que faire d’une vie humaine (les réflexions et tiraillements autour de la peine de mort, d’ailleurs, méritent la lecture), et aussi d’un tueur à gages intelligent qui rôde autour de sa fille. Toute cette histoire remue des vases profondes à un moment où l’enquêteur est particulièrement lassé de voir des visages de femmes violées, tabassées ou torturées, épuisé aussi de rencontrer d’honnêtes gens terrorisés par des criminels leur ayant arraché toute forme de dignité, fatigué de voir des Noirs victimes de racisme évident, mais parfois aussi tordu que subtil. Le héros n’a plus le goût d’essuyer des crachats à la figure ou de croiser des junkies ayant le virus et qui sont prêts à le mordre à la moindre occasion.

Avec Purple Cane Road, James Lee Burke offre encore une fois un roman raffiné et exigeant, qui navigue dans les méandres du bien et du mal. Parsemé d’anecdotes sur la cuisine et les habitudes locales, le livre donne vie à des personnages colorés parfois attachants et émouvants. À travers l’enquête, c’est le destin fragile d’un monde qui se dessine, celui des familles pauvres, des minorités; c’est la perte des gens, d’une culture, d’une dignité, d’un passé.

Purple Cane Road
de James Lee Burke
Éd. Rivages Thriller, 2005, 328 p.