Isabel Allende : Le fil de l’épée
Isabel Allende, romancière chilienne au talent considérable, nous raconte comment Zorro est arrivé.
Isabel Allende
, connue pour la virtuosité avec laquelle elle raconte le destin des femmes d’Amérique latine, a cette fois-ci choisi de se pencher sur celui d’un homme, ou plutôt d’un mythe.
Espèce de Batman Begins littéraire, Zorro retrace les origines de l’homme masqué, de sa naissance à ses premiers exploits. D’emblée, Allende rend hommage à ce héros qui se distingue des autres du genre autant par son romantisme que par son humour, qualités d’autant plus rares que l’héroïsme, "activité mal rétribuée qui conduit souvent à une fin prématurée", n’attire souvent que "des gens qui éprouvent une fascination morbide pour la mort", bref, des fanatiques.
Allende prend son temps, elle n’épargne aucun détail de l’enfance de Diego de la Vega, se permettant aussi quelques libertés, judicieuses variations sur le thème donné par Johnston McCulley en 1919.
Tout commence dans une mission espagnole de Haute-Californie à la fin du 18e siècle. Une terre comme Allende les aime: mystérieuse, métissée. Le père Medoza, homme de foi généreux, y veille sur une petite communauté de néophytes, indigènes convertis plus de gré que de force au christianisme. Sans préavis, une tribu belliqueuse menée par une métisse déguisée en loup fond sur la mission. C’est le capitaine Alejandro de la Vega, fier hidalgo en poste à Los Angeles, qui la défendra, capturera l’Indienne pour plus tard succomber à ses charmes et, enfin, la marier. Toypurnia devient alors Regina Maria de la Inmaculada Concepción. Diego, alias Zorro, sera le fruit de leur union.
Diego le métis et Bernardo, son frère de lait, Indien et muet, recevront une éducation double: espagnole au grand jour et indienne dans le secret par la grand-mère de Zorro, Chouette-Blanche, chamane de sa tribu. C’est lors d’une initiation destinée à marquer son passage à l’âge adulte que Diego rencontrera son totem: "el zorro", le renard qui le sauvera de la mort.
De Chouette-Blanche, les deux amis apprendront les arts indiens de la chasse, du camouflage, et même… la télépathie. Côté espagnol, Diego et Bernardo s’initieront à l’escrime grâce à un manuel offert par Don Alejandro, qui ne tardera pas, d’ailleurs, à envoyer son fils et son fidèle ami à Barcelone pour parfaire son éducation de cavallero sous l’égide de son auteur.
C’est à Barcelone que naît Zorro. Diego aura l’infortune de rencontrer Rafael Moncada, courtisan aussi ambitieux que malhonnête qui s’avérera être son premier grand rival amoureux, alors que chacun tentera à sa manière de gagner le cœur de la belle mais farouche Juliana. Guidé par son maître d’escrime, Diego joindra les rangs d’une société secrète éprise de justice, pour laquelle il portera pour la première fois l’habit noir et la cape. C’est ainsi que Zorro, justicier au bras vengeur et à l’humour décapant, cachant autant pour des raisons d’anonymat que de coquetterie ses grandes oreilles sous un masque et un grand chapeau, fera sa première apparition. À Barcelone, Zorro cultivera aussi son autre personnage public, faisant de Don Diego de la Vega un freluquet "aux manières affectées et à la cervelle d’oiseau".
Isabel Allende confirme une fois de plus son formidable talent de conteuse avec cette épopée aux péripéties rocambolesques, au rythme haletant et à l’humour aiguisé. Zorro est un héros moderne: un imposteur vaniteux, jouant à la limite de la schizophrénie et qui n’est jamais lui-même, mais jamais tout à fait un autre.
Elle nous entraîne avec la fougue de Michel Zevaco ou d’Arturo Perez Reverte, l’humour et la générosité en plus, dans un monde de cape et d’épée. Plus que la simple dissection du mythe, sa plus belle incarnation à ce jour.
Zorro
d’Isabel Allende
Éd. Grasset, 2005, 458 p.