Michel Risque : Appelez-moi Michel
Michel Risque, le célèbre personnage de Godbout et Fournier, refait surface dans une réédition augmentée du Savon maléfique.
On ne peut parler de Michel Risque sans parler des risques de rééditer un ouvrage épuisé depuis longtemps, surtout en matière de bande dessinée. Parce que le genre est jeune et qu’il a beaucoup évolué, parce qu’il attire beaucoup les jeunes et que le lectorat des aventures de Michel Risque a vieilli. Si certains se souviennent des premières apparitions de l’antihéros à la mâchoire carrée dans les pages du magazine contre-culturel Mainmise, la majorité d’entre nous l’ont découvert non pas durant son bref passage à la revue Cocktail en 1979, mais dans la célèbre revue Croc. Or, Croc était surtout lue par des adolescents avides d’humour mordant, souvent décadent ou crade, qui suivaient l’histoire de numéro en numéro. On parlait alors de BD d’humour qui répondait davantage aux règles du feuilleton (avec une chute saisissante et des effets de suspens) qu’à l’univers livresque de la bande dessinée qui prévaut aujourd’hui. De l’aveu même de Réal Godbout, dessinateur et coscénariste de ces aventures, la série était beaucoup moins bien structurée à l’époque du Savon maléfique qu’avec les albums suivants, Michel Risque en vacances, Cap sur Poupoune, ou les aventures de Red Ketchup (personnage issu de la première série). Le contexte de Croc incitait les auteurs à donner dans le comique sans trop se soucier de l’avenir des protagonistes et, surtout, de la trame narrative qui s’écrivait au fil du temps. La "recette" des quatre pages par numéro pousse les créateurs à inventer des situations qui offrent une panoplie de possibilités… ou de portes de sortie. Marquer le coup par des effets spectaculaires, absurdes et hilarants était alors plus important que de réaliser une histoire cohérente, bien dosée, dans laquelle s’articule le récit autant que s’épanouit la psychologie des personnages.
L’histoire et la préhistoire (l’expression est de Pierre Fournier) du Savon, réunies de manière intégrale pour la première fois, souffrent assez du contexte de publication de l’époque. N’empêche, un solide univers s’est érigé et les personnages, bien campés depuis le début, bénéficient, de page en page, d’une plus grande profondeur. Passé les 30 premières, la magie, tranquillement mais sûrement, opère à nouveau. Ces premières pages sont toutefois intéressantes car elles constituent la genèse des aventures. Réunissant Le Tapis diabolique (1973) et L’acide bleue est pas bonne (1974), elles montrent des histoires qui vont dans tous les sens, très marquées, voire trop, par l’époque. Les dessins du début ne rendent pas justice non plus à l’immense talent de Godbout, mais ils se défendent tout de même. L’ensemble a plus qu’une valeur historique, car il permet d’entrer dans le monde fascinant de ses créateurs et de commencer par le début la lecture d’une série qui vaut le détour.
Michel Risque – Le Savon maléfique
de Réal Godbout et Pierre Fournier
Éditions La Pastèque, 2005, 110 p.