Ioana Georgescu : Facture moderne
Premier roman de Ioana Georgescu, Évanouissement à Shinjuku marie quête existentielle et préoccupations esthétiques.
Finaz Alice
La vie de Dolorès D. se saisit à travers ses voyages, les rencontres qu’elle y fait et aussi les signes qui s’y manifestent, traces souvent imperceptibles et fugitives dont l’artiste ne saurait fuir l’existence. Dolorès est new-yorkaise, artiste multidisciplinaire et elle a passé suffisamment de temps dans les avions pour savoir ce qu’elle y cherche: une vision de la dateline, ligne rouge de démarcation du temps 0, qu’elle voudrait pouvoir saisir en vidéo.
Tokyo, Hong Kong, Dubrovnik, New York, Lisbonne ou le Cap-Vert, Dolorès arpente le monde non seulement pour vivre, mais elle y retrouve aussi l’amour. À travers ses parcours, elle révèle l’influence de ses origines hybrides: fille mulâtre d’une mère roumaine, chanteuse lyrique, et d’un Africain, étudiant de passage, qu’elle n’a jamais connu, elle s’attache autant à suivre la beauté de l’art qu’à rechercher l’exotisme.
Alors qu’elle se rend à l’aéroport de Tokyo, Dolorès suffoque dans une rame de métro de la ville. A la station Shinjuku, elle s’évanouit sur l’épaule d’un homme en gris qui, quant à lui, ne modifiera pas pour autant le cours prévu de sa journée. Lambeaux d’images, visages flous, lui reviendront peu à peu par la suite en mémoire lorsqu’elle cherchera à retrouver le cours de sa vie interrompue quelques instants par ce black-out.
Évanouissement à Shinjuku est un récit à la linéarité rapidement rompue par l’imbrication de récits successifs que l’auteure titre comme s’il s’agissait d’une projection de vidéos sur des écrans successivement "noir, bleu, blanc, rose-bonbon, jaune-ocre".
À l’intérieur de ces séquences distinctes, se reconstitue une partie du puzzle visible de la vie de Dolorès, bribes suggestives d’où l’émotion doit surgir. Ioana Georgescu mêle ici son goût manifeste du risque et sa sensibilité d’artiste vidéaste et de docteur en esthétique. L’interdisciplinarité artistique et la thématique quelque peu floue qui en ressortent donnent à ce récit une facture résolument moderne, à laquelle on adhère volontiers.
Évanouissement à Shinjuku
de Ioana Georgescu
Éd. Marchand de feuilles
2005, 152 p.