Pierre Ouellet : Dans ces bras-là
Livres

Pierre Ouellet : Dans ces bras-là

Pierre Ouellet, poète, romancier et essayiste, nous offre Une ombre entre les ombres, un livre entre deux genres dont les personnages nagent entre deux âges.

"Écrire. Non pas pour que paraissent des livres: pour que le monde apparaisse derrière, dessous, dedans. Pour faire venir dans des mots qui les appellent les choses du monde les plus rétives, les plus résistantes, les plus réticentes à leur apparition." (page 68) Avec Une ombre entre les ombres, Pierre Ouellet a élaboré un univers soutenu et réuni par l’écriture. Par ce livre, des vies se rapprochent, se rassemblent, et existent davantage que dans la réalité, où elles sont une sorte de mort en apnée.

L’auteur est un professeur d’université en études littéraires qui a publié pas moins d’une trentaine de livres. Polygraphe, Pierre Ouellet tisse son œuvre aux visages multiples, mais possédée d’une seule voix qui expérimente les limites du langage et ses résonances, à travers le récit, le roman, l’essai et la poésie. Si chacun de ses romans repose sur une structure distincte – où même une intrigue policière arrive à se glisser (Still. Tirs groupés) -, que ses essais traitent du langage, de la perception, de l’éthique ou de l’art, c’est probablement dans sa poésie que son expérience des formes, son travail sur la chute, sur l’abandon où en filigrane se tient la mémoire, déploie le corps de sa création dans ses insoupçonnées étendues. Or, Une ombre entre les ombres est écrit à la lisière du genre. Comme si le regard du poète poussait le stylo du romancier jusqu’à faire basculer ce dernier dans une réflexion inattendue sur la fiction. Les mots appellent ici une écriture broyant les genres, les totalisant d’une manière intégrée quoique chaque genre semble toujours en travail, en recherche. Si le livre se rapproche davantage du roman, il garde de la poésie cette façon "sans concession" de présenter le monde. Difficile à résumer, l’histoire avance sur les terrains de l’amour, de la fraternité et de l’admiration en un même souffle aussi indomptable qu’il tente de se dire, s’écrire.

Le récit nous plonge dans l’enfance de l’adolescence, et dans l’adolescence de l’expérience adulte. Dans la première moitié du livre surtout, le narrateur descend dans le passé avec les yeux du souvenir, aussi nostalgique que créateur, et nous présente un ami du nom de Jean Lhomme et cette jeune fille qu’il appelle Allumette Tremblay. Ces deux-là forment un couple que Jean Lhomme tente de faire éclater en poussant celle qu’il adore dans les bras du narrateur. S’ensuit une histoire aussi troublante qu’érotique, mais où se lit surtout la fascination du narrateur pour Jean Lhomme. À mesure que le livre avance, le désir épouse tour à tour de nouvelles formes jusqu’à vouloir clarifier la pensée, le corps, et se laisser captiver par la vérité qui se dessine, s’invente, autant qu’elle s’impose réellement par les gestes, la réflexion qui fermente et l’écriture. Un livre qui s’infiltre dans le présent comme jaillissant d’une nécessité brûlante qui affirme qu’"on n’existe qu’en différé".

Une ombre entre les ombres
de Pierre Ouellet
L’Hexagone, 2005, 179 pages